Une nouvelle chasse aux sorcières s’abat sur les universités des États-Unis
Depuis un an, un néo-maccarthysme sévit sur les campus. Il s’en prend à la liberté d’expression quand elle concerne la Palestine, mais s’inscrit dans une offensive plus ancienne, qui vise à éradiquer les espaces de pensée critique.
Joseph Confavreux , Mediapart, 1 novembre 2024 à 18h14
New York, Cambridge (États-Unis). – On connaissait le sit-in, par lequel on cherche à bloquer un lieu ou un passage en s’asseyant par terre. Et le die-in, popularisé par l’association Act Up, pour visibiliser les victimes du sida en faisant s’allonger silencieusement les activistes au sol.
Le répertoire de la protestation s’est désormais enrichi du study-in, inauguré fin septembre dans l’une des bibliothèques de la prestigieuse université Harvard, située dans la ville de Cambridge (Massachusetts), sur la côte est des États-Unis.
Le study-in consiste à se rendre dans un espace de savoir et de réflexion, à y commander des ouvrages sur un sujet, par exemple la Palestine, le Liban ou la liberté d’expression, et à les étudier silencieusement et sérieusement. Tout en affichant au dos de son écran d’ordinateur des phrases aussi subversives que « Imaginez que c’est arrivé ici » (« Imagine it happened here ») ou « Acceptez des points de vue différents » (« Embrace diverse perspectives »).
« C’est un type de manifestation qui n’enfreint aucun règlement de l’université », souligne Mike*, doctorant et chargé de cours à Harvard, qui préfère demeurer anonyme. « Cela n’allait même pas contre la tonne de régulations évasives que les universités ont fait passer pendant l’été, dans le but de faciliter la répression à l’envi de toute pensée dissonante », poursuit le jeune homme.
Les participant·es pensaient, avec ce study-in imité quelques semaines plus tard à Princeton (New Jersey), contourner la répression massive, tant universitaire que policière, des expressions de soutien à la Palestine que subissent les campus états-uniens depuis le 7-Octobre et les massacres commis ce jour-là par le Hamas.
Un « climat de terreur »
Peine perdue. Les étudiant·es présent·es ce jour-là ont été interdit·es de fréquenter la bibliothèque pendant plusieurs semaines. Et les enseignants de Harvard qui ont, pour protester contre cette décision, organisé quinze jours plus tard, dans cette même bibliothèque, un autre study-in consacré cette fois à la liberté d’expression, ont subi une sanction similaire…
« Aujourd’hui, on peut sans exagérer parler à Harvard d’un climat de terreur, juge Mike. On n’ose s’exprimer sur rien. Dans mon cours, j’évite tous les sujets sensibles alors même que les étudiants sont en demande. Quand on voit que même les professeurs titulaires se sentent en danger, on redouble d’attention quand on ne l’est pas, comme c’est mon cas. »
Le jeune homme rappelle aussi le traumatisme laissée par la pratique du doxxing : « Pendant les protestations de l’an dernier, certaines personnes venaient photographier celles et ceux qui manifestaient, réussissaient ensuite à les identifier, et des camions avec des images de la taille d’une publicité parcouraient le campus avec leurs visages, leurs noms et leurs coordonnées... »
David* a obtenu son diplôme de Harvard au printemps, et se remémore avec émotion la façon dont il a, keffieh autour du cou et avec des centaines d’autres étudiant·es, quitté la cérémonie officielle pour organiser une remise des diplômes alternative.
« Les discours racontaient le contraire de ce que fait réellement l’administration depuis des mois. Ils affichaient des principes qu’ils venaient de fouler aux pieds, explique-t-il. Nous nous sommes levés pour cesser d’écouter ces mensonges et récompenser plutôt les valeurs auxquelles nous croyons. C’est sans doute l’un des plus beaux moments de toute ma scolarité à Harvard. »
Pour lui, les principes mêmes sur lesquels sont fondées les prestigieuses universités de la côte est ont été ébranlés, voire détruits. « Harvard ne cesse de raconter qu’elle forme les meilleurs étudiants, les leaders de demain... Mais on passe par-dessus bord tout ce qui fait la mission même de l’université : former des citoyens critiques et pas des bons enfants obéissants. »
À Harvard, poursuit-il, « le nouveau règlement explique désormais que l’université doit rester neutre politiquement, dans tous les domaines. C’est absurde, une université apprend à penser, et comment veut-on penser sans réfléchir à la politique ? ».
Génération désabusée
« Toute notre génération, constate David, est largement désabusée vis-à-vis d’universités d’élite qui sont devenues d’abord des business et des fonds d’investissement. » La manne sur laquelle est assise Harvard s’élève à plus de 40 milliards de dollars, deux fois le PIB annuel d’un pays comme le Burkina Faso.
Le jeune homme, qui se présente comme juif, est particulièrement en colère contre « l’hypocrisie d’une université qui ne parle que de justice mais fait une exception pour la Palestine ». Un acronyme a même été créé pour parler de ce phénomène : PEP, pour « Progressive Except for Palestine » (« Progressistes sauf pour la Palestine »).
Une manière de désigner des personnes « qui vont défendre les droits des LGBT+, des Noirs ou lutter contre le changement climatique mais détourner le regard du génocide que subissent les Palestiniens », explique David.
« Nous sommes victimes d’une propagande, ajoute-t-il, dont le New York Times est emblématique, qui décrit Harvard ou Columbia comme infiltrée par un antisémitisme toujours “croissant”. Mais l’antisémitisme sur les campus, c’est aujourd’hui surtout un croque-mitaine pour faire peur à ma mère ou à ses amies qui lisent ce journal. »
Les États-Unis ont inscrit dans leur Constitution la liberté de parole, mais celle-ci est refusée aux soutiens de la Palestine.
Rashid Khalidi, historien et professeur à Columbia
À Columbia, épicentre des manifestations propalestiniennes de l’automne 2023, comme de leur répression, la situation est en apparence pacifiée. « Mais c’est seulement parce que Columbia est devenue une forteresse davantage qu’une université », ironise David, qui vit désormais à New York, la ville où s’est implantée l’université de la prestigieuse Ivy League au milieu du XVIIIe siècle.
© Instagram. Columbia University Apartheid Divest
« Le campus fonctionne normalement, explique de façon plus feutrée Robert Shapiro, qui y enseigne les sciences politiques. Mais tout est plus sécurisé, il faut montrer ses papiers d’identité pour rentrer dans les bâtiments, alors qu’auparavant l’université était ouverte sur la ville. »
Une des chaires les plus prestigieuses de Columbia est aujourd’hui vacante. Celle de l’intellectuel palestinien Edward Saïd, occupée depuis la mort de ce dernier par l’historien Rashid Khalidi, qui prend lui-même sa retraite cette année en faisant un constat cinglant : « La situation est extrêmement grave. Les États-Unis ont inscrit dans leur Constitution la liberté de parole, mais celle-ci est refusée aux soutiens de la Palestine. »
En prenant la tête de la contestation du soutien de l’administration américaine au carnage commis par Israël à Gaza, et en demandant que leur université n’investisse pas une partie de ses actifs financiers – et donc leurs frais d’inscription, pouvant monter jusqu’à 70 000 dollars par an – dans des entreprises profitant de l’occupation illégale des Territoires palestiniens, les étudiant·es de Columbia ont réactivé une tradition d’activisme politique et éthique ancienne, rappelle pourtant l’historien Thomas Dodman, qui y est professeur.
J’admire le courage de ces étudiants qui mettent en jeu leurs études et leurs carrières. Thomas Dodman, historien et professeur à Columbia
« Il existe une tradition propre à cette université, dont elle tire fierté, explique-t-il. Lorsqu’un petit groupe de manifestants occupe un bâtiment, Hamilton Hall, et le rebaptise “Hind Hall” en hommage à Hind Rajab, une enfant de 6 ans tuée par l’armée israélienne en fuyant Gaza City, il fait directement référence à la manière dont, quarante ans plus tôt, des étudiants se sont barricadés dans ce même bâtiment et l’ont renommé “Mandela Hall“ en demandant que l’université se désinvestisse de toute compagnie impliquée dans l’apartheid en Afrique du Sud. Columbia est ensuite devenue la première université nord-américaine à rompre avec le régime sud-africain. »
Pour le professeur, ce qui s’est passé au cours de l’année écoulée est « une rupture avec un principe fondateur des universités comme Columbia : le fait qu’elles soient des institutions autonomes censées s’autoréguler et échapper au contrôle du gouvernement. Cela a volé en éclats avec l’intervention de la police, l’attitude de l’administration après le 7-Octobre, et plus généralement le fait que les universités ont pris un tournant néolibéral et sont désormais dirigés par des conseils d’administration qui ne contiennent plus d’universitaires. »
L’enseignant tient à souligner la témérité d’étudiant·es qui risquent gros. « Même si la nouvelle direction de l’université mise en place après la démission de la présidente cet été est plus encline au dialogue, la pression demeure forte et j’admire ces étudiants, poursuit-il. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’ils font ou ce qu’ils disent, mais ils ont le courage de nommer ce qui est, dans une ambiance d’omerta généralisée : il y a des massacres et des crimes de guerre commis à Gaza. Et ils mettent pour cela en jeu leurs études et leurs carrières. Plus de 200 d’entre eux demeurent impliqués dans des procédures judiciaires pour des désordres commis au printemps. »
En cette rentrée, Columbia, comme d’autres universités, a mis en place plusieurs dispositifs pour tenter d’apaiser les tensions : des « cercles de parole », des tables d’écoute, des tentatives de mettre en partage les souffrances des un·es et des autres…
Mais ces procédures demeurent cosmétiques, quand elles ne constituent pas d’abord des pratiques assurantielles destinées à montrer que les universités agissent. Surtout, certaines de ces initiatives ont avant tout jeté de l’huile sur le feu. Ainsi de la « task force » destinée à lutter contre l’antisémitisme mise en place par Columbia, dont les rapports ont été contestés dans leur méthodologie et leurs conclusions.
Censure et autocensure
« Le rapport produit par cette task force ne tient pas debout, assène Julia*, une enseignante de Columbia. Je ne nie pas qu’il y ait de l’antisémitisme sur le campus, mais pas plus qu’ailleurs dans la société. »
Rashid Khalidi, dont le bureau ne peut être atteint qu’après avoir obtenu les autorisations nécessaires et présenté un QR code, est plus frontal : « La commission créée pour examiner les manifestations d’antisémitisme ici était composée par les enseignants les plus sionistes de l’université, ouvertement soutiens d’Israël. » La situation à Columbia est donc aujourd’hui celle d’une vaste majorité d’étudiant·es et d’enseignant·es « paralysés par la censure et l’autocensure », dit Julia.
Avec, aux marges, la radicalisation de certain·es. À l’occasion de l’anniversaire du 7-Octobre, le groupe Columbia University Apartheid Divest, l’un de ceux qui avaient lancé la mobilisation sur le campus au début de la guerre à Gaza, a ainsi fait évoluer sa rhétorique en affirmant désormais soutenir « la libération par tous les moyens nécessaires, y compris la lutte armée », décrivant l’opération du Hamas comme une « victoire morale, militaire et politique » et saluant les combattants palestiniens ayant assassiné sept personnes à un arrêt de tram de Jaffa, le 1er octobre dernier.
L’Université de New York (NYU) a franchi un seuil et fait polémique en laissant s’installer une homothétie entre judaïsme et sionisme.
La répression dans les universités se fonde sur davantage qu’un signe égal et fallacieux tracé entre antisionisme et antisémitisme. Elle considère que le sionisme doit être protégé comme une identité, à l’instar des « groupes protégés » (« Protected class ») au nom du « Titre VI », la procédure de non-discrimination forgée dans les années 1960, dans la foulée du mouvement des droits civiques, dont beaucoup d’enseignant·es et d’étudiant·es jugent qu’elle est aujourd’hui l’objet d’un véritable détournement.
En affirmant dans son nouveau règlement que le sionisme pouvait être considéré comme un « nom de code » (« code word ») désignant les Juifs au motif que pour « beaucoup d’entre eux, le sionisme fait partie de leur identité », l’Université de New York (NYU) a ainsi franchi un seuil et fait polémique en laissant s’installer une homothétie entre judaïsme et sionisme, lui-même largement confondu avec le gouvernement extrémiste d’Israël qui prétend en être la réalisation.
Une confusion qui heurte plus encore les Juifs qui ne considèrent pas le sionisme comme une part de leur identité juive, voire se disent anti-sionistes et jugent que cette idéologie nationaliste est à la racine de la politique meurtrière d’Israël aujourd’hui.
C’est le cas de Maura Finkelstein, la première professeure titulaire renvoyée de son université pour son soutien à la cause palestinienne. Si plusieurs enseignant·es vacataires ont vu leurs contrats révoqués ou non-reconduits depuis le 7-Octobre, l’université Muhlenberg, en Pennsylvanie, a innové au printemps en licenciant cette professeure d’anthropologie en poste depuis plus de dix ans.
Campagnes de dénigrement
Loin des feux médiatiques des grandes universités de l’Ivy league et des polémiques à résonance mondiale de Harvard ou Columbia, c’est en effet un mouvement de fond qui plombe les campus des États-Unis et fait vriller le Premier amendement de la Constitution, censé assurer la liberté d’expression à tous ses citoyen·nes.
Maura Finkelstein a été écartée pour avoir reposté une publication d’un poète palestinien, Remi Kenazi, rédigée le 16 janvier 2024 en ces termes : « Ne battez pas en retraite devant les sionistes. Faites-leur honte. Ne les accueillez pas dans vos espaces. » Et surtout pour avoir subi l’une de ces campagnes de dénigrement qui s’en prennent aux opposants à l’anéantissement de Gaza en faisant pression sur les administrations des universités et les donateurs privés qui les financent.
Étant à la fois juive et anti-sioniste, j’incarne quelque chose d’insupportable pour les soutiens de la politique israélienne.
Maura Finkelstein, professeur d’anthropologie
« Je n’avais jamais fait mystère de mes opinions et cela n’avait gêné personne, explique-t-elle. Mon université m’avait même alloué des fonds pour un voyage en Cisjordanie en 2018 après que j’ai obtenu une bourse pour cela ! Avant le 7-Octobre, je pensais que le fait d’être juive, même si je ne dissimulais pas que j’étais anti-sioniste, me protégeait du procès en antisémitisme qui s’abattait immédiatement sur toute critique d’Israël. C’est aussi pour cela que je m’exprimais publiquement sur le sujet, parce que je pensais être immunisée contre ce genre d’accusations. »
Née aux États-Unis, ayant reçu une éducation juive, ancienne étudiante à Columbia, Maura Finkelstein ne revient pas sans émotion sur ce qui lui est arrivé. « Avoir passé tant de temps et mis tant d’énergie à devenir professeur dans un petit établissement d’enseignement privé de Pennsylvanie dont personne n’a entendu parler, et me faire virer ainsi… »
L’anthropologue raconte la manière dont « des milliers d’e-mails ont été envoyés à tous les membres de l’administration de Muhlenberg, et à tous les politiciens de Pennsylvanie, pour demander que je sois licenciée. Les réseaux sociaux ont été inondés de publications me visant personnellement. Une pétition a été lancée pour que je sois virée et a été signée par 8 000 personnes, mais je ne sais pas qui est derrière tout cela, s’il s’agit seulement d’une poignée de gens ou d’une armée de robots. Ce que je sais, c’est que cela a été efficace. »
Au terme d’une enquête administrative expéditive qu’elle conteste légalement, Maura Finkelstein a vu sa suspension, à l’origine provisoire, aboutir à un licenciement. « Je sais que j’ai sans doute été particulièrement visée parce qu’étant à la fois juive et anti-sioniste, j’incarne quelque chose d’insupportable pour les soutiens de la politique israélienne, qui a des relais importants dans de nombreux établissements américains, à l’instar de l’organisation Hillel qui organise des échanges académiques avec Israël tout en relayant la propagande du gouvernement israélien », ajoute Maura Finkelstein.
Aux États-Unis, ce sont ceux qui paient qui contrôlent. C’est vrai en politique, mais c’est aussi vrai dans les universités.
Rashid Khalidi, historien et professeur à Columbia
A-t-elle été soutenue par ses collègues ? « C’était difficile pour plusieurs raisons. Tout cela s’est fait sans publicité. Et puis l’université aux États-Unis est dans une situation de crise financière chronique, ce qui la rend particulièrement dépendante des donateurs privés qui dictent leur agenda. Vous vivez en permanence avec la peur de voir votre job supprimé, votre programme de recherche amputé. La tendance générale est donc à baisser la tête. Mais heureusement j’ai pu compter sur le soutien de tout un réseau de camarades et d’amis qui s’élèvent contre le génocide en cours à Gaza commis avec la complicité de Joe Biden et Kamala Harris. »
Pour Rashid Khalidi, le rôle des donateurs dans la situation actuelle est évident : « Aux États-Unis, ce sont ceux qui paient qui contrôlent. C’est vrai en politique, mais c’est aussi vrai dans les universités. La seule différence est que, en temps normal, cette influence se fait derrière un voile pudique. C’est ce voile qui a été déchiré avec les menaces des grands donateurs, souvent juifs, sur Harvard, Columbia, et les prestigieuses universités de l’Ivy League. »
L’écrivain égyptien en exil Alaa el-Aswany, qui enseigne l’écriture créative à Princeton, formule les choses en ces termes : « Venant d’un pays où la censure est une activité gouvernementale constante, j’hésite à parler de maccarthysme pour désigner ce qui se passe dans mon pays d’accueil. Mais ici, c’est l’argent qui décide de tout. Cela n’empêche pas quelqu’un comme moi de dire ou d’écrire ce que je veux, mais les administrations ont une épée de Damoclès au-dessus d’elles. »
Pour Thomas Dodman, le risque, en se focalisant sur les seuls donateurs, est toutefois d’agiter des « stéréotypes de cabale juive » alors qu’il faut relativiser les sommes en jeu. La principale menace, pour ces universités privées mais disposant d’importants financements publics, est de perdre ces derniers au motif qu’ils ne respecteraient pas les normes anti-discrimination mises en place dans les années 1960, et aujourd’hui détournées pour réprimer l’expression du soutien à la Palestine.
« Pour une université comme Columbia, cela représente près d’un quart des financements, poursuit le professeur Dodman. Les Républicains instrumentalisent de façon éhontée l’antisémitisme comme un levier pour définancer les universités considérées comme des QG de la pensée woke. Le plus aberrant est que certains d’entre eux sont des théoriciens du grand remplacement qui, aux États-Unis, à la différence de l’Europe, prétend que la population blanche risque d’être remplacée davantage par les juifs que par les musulmans... »
Pour lui, si Donald Trump l’emporte le 5 novembre, le risque « n’est pas que Columbia disparaisse, mais qu’elle soit privée de ses fonds publics, et devienne une université seulement pour les riches, parce que les fonds publics permettent notamment de financer des bourses ».
Comment expliquer cette offensive réactionnaire contre les universités ? « Cette obsession est étonnante, poursuit Thomas Dodman. L’université n’a pas l’once de l’influence que les médias réactionnaires lui prêtent. Et la plupart de mes étudiants vont travailler à Wall Street, en entreprise, dans les institutions gouvernementales. Nous ne formons pas des gauchistes. Seule une toute petite minorité s’oriente vers les sciences sociales ou l’activisme politique… »
Pour David, le diplômé de Harvard, cette offensive, qui pourrait décupler avec une victoire du républicain, ne vise pas seulement des symboles. « Il s’agit de lutter contre la gauche académique, les analyses décoloniales, les savoirs critiques portés par les sciences sociales, les lectures de la société en termes de dominations forgées par l’histoire », dans un contexte où ces discours ont commencé à avoir des effets tangibles dans la société américaine, notamment en matière de diversification des recrutements dans les entreprises ou les administrations.
En outre, conclut David, « il ne faut pas non plus perdre de vue une dimension très matérielle. Ces universités sont très très riches, et beaucoup d’entre elles, comme Harvard ou le MIT, sont à la pointe des recherches sur les nouvelles technologies qui servent au complexe militaro-industriel… »
Joseph Confavreux