La mobilisation pour la libération de Georges Abdallah s’accentue...

mardi 29 octobre 2024

« Personne ne doit détourner le regard »

En prison depuis quarante ans, le militant communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah saura le 15 novembre si sa demande de libération est acceptée. Ses soutiens alertent sur la « peine de mort lente » qu’il subit, alors qu’il est libérable depuis 1999.

Mathieu Dejean, Mediapart, 25 octobre 2024 à 14h58

Même celles et ceux qui le soutiennent ont perdu le fil. Est-ce la dixième ou la onzième demande de libération conditionnelle de Georges Ibrahim Abdallah ? Si son avocat, Jean-Louis Chalanset, compte bien, c’est la onzième. Un chiffre qui l’abasourdit encore : « Quand j’ai commencé à le défendre, après la mort de Jacques Vergès, en 2013, je pensais qu’il serait libre au bout d’un ou deux ans », se désole-t-il. Son client est libérable depuis 1999.
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Mais voilà, à chaque fois, ses demandes de remise en liberté ont été refusées, tantôt parce que le militant communiste libanais, cofondateur des Fractions armées révolutionnaires libanaises (Farl), considéré comme terroriste par ses détracteurs, ne se repentait pas de ses actes, tantôt parce que son retour au Liban – son expulsion est nécessaire à sa libération – constituerait un danger. « C’est un parti pris total d’élimination d’un militant qui se réclame du communisme. À 73 ans et demi, comment deviendrait-il un chef de guerre ? », interroge Jean-Louis Chalanset.

Ce vendredi 25 octobre marque le quarantième anniversaire de la détention de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1987, pour complicité dans l’assassinat de deux diplomates, l’un américain et l’autre israélien, à Paris en 1982. Ce qui fait de lui « le plus vieux prisonnier politique de France et même d’Europe », selon ses soutiens. Ceux-ci, réunis dans un collectif très actif pour publiciser sa cause, organisent samedi 26 octobre une manifestation jusqu’aux portes de la prison où il est détenu, à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), qui devrait réunir plusieurs milliers de personnes, dont des député·es du Nouveau Front populaire (NFP).

« Ce n’est jamais suffisant tant qu’il est toujours emprisonné, mais le mouvement de solidarité est croissant », se félicite Tom Martin, porte-parole du collectif Palestine vaincra et membre du Comité pour la libération de Georges Abdallah depuis quinze ans. Si la mobilisation est aussi importante cette semaine, c’est aussi parce que les juges d’application des peines antiterroristes, qui l’ont auditionné le 7 octobre, doivent rendre leur décision le 15 novembre. Et parce que c’est, du point de vue de l’intéressé, son dernier recours.

Son comité de soutien a même dû le convaincre de refaire une demande de libération. En 2013, une décision en appel de la chambre de l’application des peines de Paris avait validé sa huitième demande, à condition qu’il soit expulsé du territoire français. Mais le ministre de l’intérieur d’alors, Manuel Valls, avait refusé de signer l’arrêté d’expulsion – une expulsion qu’Abdallah demandait pour obtenir sa libération.

Dans un récent article du Monde, Manuel Valls assume un choix politique : « Je le maintiens en prison volontairement, il n’était pas question que je signe l’arrêté d’expulsion. Je le fais par conviction. J’en ai informé le président de la République [François Hollande – ndlr], qui ne m’en a pas dissuadé. »

Une succession d’anomalies
« Depuis 1984, sa détention est politique. Ce qu’on lui reproche, c’est de demeurer un militant communiste », tranche Tom Martin, qui lie aussi son enfermement à la « criminalisation du soutien à la Palestine » et dénonce un « chantage au reniement ». L’indignation des soutiens de Georges Abdallah est d’autant plus forte que de multiples anomalies ont émaillé son incarcération et sa défense, comme l’avaient raconté en 2013 Mediapart et, plus récemment, France Inter.

Le premier avocat d’Abdallah, Jean-Paul Mazurier, était en réalité un agent des services français. Il a aussi été démontré que le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, et son ministre délégué à la sécurité, Robert Pandraud, ont accusé à tort Georges Abdallah et ses frères d’être à l’origine des six attentats de septembre 1986, qui ont fait onze morts et près de deux cents blessés à Paris. Enfin, les États-Unis, partie civile dans cette affaire, sont directement intervenus dans la procédure pour empêcher sa libération.

« Il y a suffisamment eu de données qui montrent combien y compris son procès a été politique : tout a été fait pour qu’il soit mis en prison, même sa défense n’a pas pu être assurée de manière correcte. Ça fait quarante ans, stop ! », clame la députée communiste Elsa Faucillon, qui a rendu visite à Georges Abdallah dans le cadre de son droit de visite parlementaire en avril. Comme d’autres député·es du NFP, celle-ci fait partie des élu·es sensibilisé·es par l’action du comité de soutien d’Abdallah. Elle rapporte avoir été impressionnée par « cet homme qui se tient toujours autant debout après quarante ans en prison » et qui « fait tout pour rester un militant même à travers les barreaux ».

La députée de La France insoumise (LFI) Andrée Taurinya lui a rendu visite plusieurs fois au parloir depuis 2022. Elle décrit quelqu’un de « très lucide », qui suit l’actualité française et internationale : « Il a des inquiétudes pour ses proches qui sont au Liban, mais reste très combatif », dit-elle. « Les conditions de sa demande de libération sont un peu humiliantes pour lui », ajoute-t-elle en référence à l’expertise psychiatrique qu’il a dû subir avant son audition. « Il se considère comme un prisonnier politique, et moi aussi », précise-t-elle.

Tous les partis politiques libanais soutiennent sa libération.
Jean-Louis Chalanset, son avocat

En juin, elle avait été à l’initiative d’une tribune, avec le député communiste André Chassaigne et la députée LFI Sylvie Ferrer, largement signée par des personnalités artistiques, intellectuelles, syndicales et politiques. Celle-ci dénonçait la « peine de mort lente » infligée à Georges Ibrahim Abdallah : « Infiniment plus silencieuses que les exécutions judiciaires, mais non moins révoltantes, ces peines de morts lentes, dites “morts blanches”, sont condamnées par le droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

C’est sur cet angle que les soutiens du prisonnier mettent l’accent. « Nous sommes contre la peine de mort lente, il ne peut pas y avoir de décision politique, encore moins venue d’ailleurs, qui nous détourne de nos principes en matière de droit et de respect de la personne humaine », explique Elsa Faucillon. La Ligue des droits de l’homme a aussi demandé au gouvernement qu’il signe son arrêté d’expulsion vers son pays, conformément à sa demande. Cependant, beaucoup craignent que la concomitance de sa demande avec le contexte international, marqué par l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et par les crimes de guerre israéliens à Gaza et au Liban, ne lui porte tort.

Son avocat, Jean-Louis Chalanset, rapporte que l’ambiance lors de l’audience de Georges Ibrahim Abdallah, le 7 octobre, était tendue et qu’en dépit du fait que son client « n’a rien à voir avec l’islamisme », « on essaye de l’assimiler [à cette idéologie] pour l’empêcher de sortir ». L’avocat affirme avoir rappelé aux juges la phrase de Robert Badinter sur la peine perpétuelle : « La peine de mort est un supplice, et l’on ne remplace pas un supplice par un autre. » Il précise aussi que « tous les partis politiques libanais soutiennent sa libération ». Mais le poids du terrorisme dans la conduite des politiques, en termes de droit et de sécurité, joue en la défaveur d’Abdallah. « N’allons pas au bout de nos erreurs », invite Elsa Faucillon.

En cas de rejet de la demande de libération, le comité de soutien prévoit d’appeler à des rassemblements, en espérant s’élargir. « Il faut que tout le monde prenne ses responsabilités, personne ne doit détourner le regard », conclut Tom Martin.