Guerre au Proche-Orient : les Libanais voient leurs villes et leurs vies « s’effondrer »

samedi 5 octobre 2024

L’horreur de Gaza semble se reproduire depuis qu’Israël a lancé une campagne aérienne meurtrière sur plusieurs régions du Liban il y a dix jours. Dans la banlieue sud de Beyrouth, les civils qui ont fui leurs villages subissent de nouveaux bombardements.

Leila Aad
3 octobre 2024

JPEG - 264 ko Photo : Destructions à Choueifat, dans la banlieue de Beyrouth, après des frappes israéliennes. © Photo Leila Aad pour Mediapart

Beyrouth (Liban).– Un bruit sourd, semblable à celui d’une explosion, fait sursauter Amal et son fils, que les bombes israéliennes ont déplacé·es, aux côtés de dizaines d’autres familles, dans une école de Jnah, un quartier de la banlieue sud de Beyrouth. Les secondes semblent ralentir et des têtes craintives se tournent pour identifier l’origine du vacarme, avec l’inquiétude de celles et ceux pour qui tout bruit violent peut signifier un bombardement.

Mais cette fois, « ce n’est que le vent qui fait claquer les portes », lance un employé, affichant un sourire de soulagement.

« Mon fils n’en peut plus, il fait des crises de panique dès qu’il entend des bruits forts », soupire Amal, qui témoigne sous pseudonyme. Il y a environ dix jours, elle a dû fuir avec son mari et son fils handicapé le village libanais de Zibqin, dans le sud du pays, au moment où Israël débutait une campagne aérienne massive contre le Liban, visant principalement le Sud et la plaine de la Bekaa, à l’est, ainsi que la banlieue sud de Beyrouth.

Amal, âgée de 65 ans, raconte qu’elle était en train de faire des courses lorsque l’offensive israélienne a débuté. Dans le vacarme des bombardements qui s’abattent sur le village, elle se précipite chez elle afin de récupérer son fils en fauteuil roulant. La famille fuit le village à la hâte, dans une brume de poussière. Quelques instants plus tard, les missiles israéliens détruisent sa maison. « Imagine, toi, si ça t’arrive, tu dédies ta vie à construire une maison pour ensuite voir tout s’effondrer. »

Amal est sous le choc face à l’injustice du drame qui bouleverse sa vie. « Qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qu’on nous reproche ? Qu’est-ce qu’il a à voir dans cette histoire, mon fils, c’est un enfant handicapé ? Notre seule aspiration est de vivre chez nous. Maintenant on vit encore, mais on est morts à l’intérieur », répète-t-elle.

Une heure à peine après notre rencontre, des bruits sourds secouent de nouveau le quartier de Jnah, à quelques centaines de mètres de l’école où Amal s’est réfugiée. Cette fois, ce sont bien des bombes qu’Israël fait pleuvoir, affirmant avoir mené une attaque « ciblée » à Beyrouth, tuant un commandant du Hezbollah.

300 000 enfants déplacés

À l’image d’Amal, nombreux sont les civils dont les vies ont été brisées par la guerre. Les bombardements ont déplacé plus d’un million de personnes, parmi lesquelles plus de 300 000 enfants, selon les autorités libanaises. Les rues de la capitale sont pleines de familles, parties à la hâte sous la menace des bombes, dormant sur des matelas dans la rue, parfois sous la pluie.

Les attaques israéliennes ont tué près de 1 200 personnes en dix jours. Les réseaux sociaux font état de familles entières disparues dans la Bekaa. Les deux premiers jours de la campagne israélienne ont tué au moins cinquante enfants, à un rythme « effrayant » selon l’Unicef. Deux ressortissant·es français·es ont été tué·es, dont une femme de 87 ans, dans un village au sud du Liban. L’horreur de Gaza semble se reproduire dans ces villages libanais.

Lundi 30 septembre, l’armée israélienne a annoncé une invasion terrestre dans le sud du pays, qu’elle a qualifiée de « limitée ». « Qu’est-ce qu’ils veulent envahir ? Ils ont déjà tout détruit », déplore Amal.

Le lendemain de cette annonce, Israël a ordonné aux civils du sud du pays de fuir au nord du fleuve Awali, à une soixantaine de kilomètres de la frontière, provoquant un nouveau mouvement d’exode et de chaos.

Le but affiché de l’escalade israélienne est le retour des personnes déplacées des villages du nord d’Israël, qui ont fui les combats entre le Hezbollah et Israël faisant rage depuis presque un an à la frontière. Israël affirme viser des infrastructures du Hezbollah et accuse le parti libanais de cacher ses armes au sein des infrastructures civiles.

Ville fantôme

Mais les rares habitant·es croisé·es dans la banlieue sud, lors d’une visite organisée mercredi 2 octobre par le Hezbollah pour les journalistes étrangers, décrivent une réalité différente. Les bombardements israéliens incessants ont transformé la banlieue sud de Beyrouth, un quartier où le Hezbollah est particulièrement influent, mais aussi l’une des zones résidentielles les plus densément peuplées du pays, en ville fantôme. L’inquiétant bruit des drones y résonne, et une odeur tenace de caoutchouc brûlé flotte dans l’air.

Devant un trou béant laissé par un bombardement survenu mercredi à l’aube dans Dahiyeh, le nom donné à la banlieue sud de Beyrouth, une jeune femme s’émeut : « C’était une zone civile. » La frappe a détruit quatre bâtiments résidentiels en plein quartier populaire. L’armée israélienne avait émis des avertissements une heure avant, ordonnant aux civils de quitter les lieux « proches des infrastructures du Hezbollah ».

De toute façon, la majorité des résident·es avaient déjà quitté le quartier, sauf le concierge et sa famille, syrienne ou soudanaise, s’inquiète la jeune femme. Sous le choc, elle raconte avoir entendu des cris sous les décombres au petit matin. Elle dit ne pas savoir si des personnes sont encore en vie. « C’est une attaque injuste, ils s’en prennent aux civils, ils détruisent tout », dénonce un autre résident sur le site bombardé.

À quelques kilomètres de là, l’hôpital universitaire Rafic-Hariri a ouvert une unité pour s’occuper des blessé·es de guerre. Son directeur général, Jihad Saadé, dit recevoir « beaucoup d’enfants ». Un employé montre des photos des victimes reçues après la frappe israélienne qui, vendredi 27 septembre, a tué Hassan Nasrallah, le leader charismatique du Hezbollah. Celle du corps d’un enfant tuméfié, sans vie, victime de l’attaque. Le nombre de décès dus à l’attaque n’est toujours pas définitif. Le ministre de la santé du Liban, Firass Abiad, a déclaré au New York Times que le nombre de morts était sous-estimé et qu’il y aurait une « longue liste de disparus » après la fin de la guerre.

Source : Mediapart