Massacres à Gaza : mais où sont les pays arabes ?

jeudi 17 octobre 2024

Depuis un an et les attaques du Hamas en Israël, l’État hébreu s’est engagé dans un processus de destruction massive à Gaza. Malgré des discours de façade, les pays arabes laissent faire, refusant d’accueillir les Palestiniens, avec la complicité des pays occidentaux.
Source : Mediapart
Nejma Brahim le 13 octobre 2024

JPEG - 7.5 ko Le Caire (Égypte).– Dans le salon de l’appartement qu’il loue au Caire, en Égypte, Ibrahim* visionne encore et encore les vidéos des massacres d’Israël dans la bande de Gaza. L’homme de 58 ans a pris « dix ans d’un coup », s’exclame sa femme, un sourire dépité au coin des lèvres. Ses cheveux ont blanchi d’un coup – il a dû faire une teinture récemment pour les camoufler, confie-t-elle. Une image attire particulièrement son attention : celle d’une femme hurlant, le visage déchiré par la douleur, au milieu des ruines de Gaza.

« Personne ne se tient à nos côtés. Où sont les pays arabes ? Où sont-ils ? Regardez ce qui nous arrive ! » Cette interrogation, qui traverse l’esprit de beaucoup de Palestinien·nes, est décisive. Dès le début de cette nouvelle phase du conflit au Proche-Orient, après les attaques du Hamas en Israël et la prise d’otages israélien·nes, l’Égypte a pris soin de faire savoir qu’elle n’accueillerait aucun·e réfugié·e gazaoui·e sur son sol, sauf peut-être dans un camp fermé situé dans le Sinaï, en cas d’exode massif.

« Il n’y a que ceux qui ont de l’argent qui ont pu sortir de Gaza, poursuit Ibrahim. Nous, on a dû payer 7 000 dollars par personne pour les parents, et 5 000 dollars pour chaque enfant, en passant par l’agence Hala. » Mediapart avait raconté le business florissant de cette entreprise, initialement spécialisée dans le tourisme et l’obtention de visas pour les voyageurs et voyageuses aisées, dont les relations privilégiées avec les autorités ont permis à un certain nombre de Gazaoui·es de fuir l’enclave pour se mettre à l’abri en Égypte.

Officiellement donc, le pays refuse d’accueillir les Palestinien·nes ; mais il fait un « geste » de manière officieuse lorsque d’importantes sommes d’argent sont en jeu. La cruauté va plus loin : une fois que les exilé·es ont réussi à franchir la frontière pour se réfugier en Égypte, elles et ils n’ont droit à rien. Ni carte de séjour, ni travail, ni scolarisation des enfants… Depuis deux mois, les Palestinien·nes venu·es de Gaza ne peuvent plus retirer d’argent à la banque ou auprès des agences Western Union, sauf par l’intermédiaire d’un Égyptien.

« Le seul droit qu’on nous donne, c’est d’aller se soigner à l’hôpital public, où les soins laissent à désirer », commente l’un d’eux. « On n’a pas le droit de travailler et on ne peut pas faire de retraits d’argent. Qu’est-ce qu’ils attendent de nous ? Qu’on reste enfermés entre quatre murs jusqu’à la fin de la guerre ? », interroge Muhammad, un Gazaoui réfugié en Égypte.

Une Ligue arabe effacée

« Non seulement les pays arabes n’aident pas les Palestiniens, que ces derniers soient à Gaza, en Cisjordanie ou dans les camps de réfugiés à l’étranger, mais ils ne font même pas le minimum pour marquer leur opposition à la politique menée par Israël et soutenue par les États-Unis », souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève.

Si le Qatar s’est assis à la table des négociations pour l’obtention d’un cessez-le-feu à Gaza, et si quelques pays arabes ont eu la décence d’envoyer de l’aide humanitaire à destination de l’enclave, leur soutien aux Gazaoui·es s’est arrêté là.

"La Ligue arabe est devenue une annexe du ministère des affaires étrangères égyptien [...].Elle ne représente plus les vœux du monde arabe."
Hasni Abidi, chercheur

Personne n’a osé hausser le ton face à Israël, personne n’a osé rompre ses relations diplomatiques – la Jordanie s’est contentée de rappeler son ambassadeur, comme d’autres pays à travers le monde dont la Bolivie, la Colombie, le Chili ou le Brésil –, personne n’a osé rompre ses liens commerciaux, hormis le Bahreïn, pour faire pression sur l’État hébreu afin d’exiger de lui qu’il cesse de bombarder et d’affamer Gaza, mais aussi d’annexer progressivement la Cisjordanie.

À ce jour, note Hasni Abidi, « il n’y a eu aucun appel extraordinaire pour dénoncer collectivement ce qui se passe à Gaza et au Liban », alors qu’un sommet des ministres des affaires étrangères de la Ligue arabe se tient régulièrement au Caire. Malgré quelques déclarations de façade, comme celles récentes du président égyptien al-Sissi dénonçant les bombardements israéliens au Liban, ou celle de la Jordanie lors du sommet pour la paix en octobre 2023, les actes ne suivent pas.

« L’Égypte est coresponsable du blocus à Gaza. Chacun des autres pays a ses intérêts propres », souligne Hasni Abidi. Les réunions consacrées à Gaza ont été « très timides », estime le chercheur, également enseignant au Global Studies Institute à l’université de Genève. « La Ligue arabe est devenue une annexe du ministère des affaires étrangères égyptien. Son secrétaire général est égyptien. Elle ne peut donc pas aller à l’encontre des intérêts de l’Égypte et elle ne représente plus les vœux du monde arabe. »

« Ils se positionnent contre nous », abonde une exilée gazaouie rencontrée au Caire, qui note qu’ils ont « tous fermé leurs frontières pour empêcher les habitants de Gaza d’aller chez eux ». Pire, « ils [leur] interdisent l’accès à leur territoire quand [les Gazaoui·es] demande[nt] un visa ». Elle aurait voulu se rendre en Arabie saoudite ou en Jordanie, mais malgré tous les justificatifs qu’elle a pu fournir, ses multiples demandes ont été rejetées voire ignorées.

Elle, comme d’autres Palestinien·nes exilé·es en Égypte, est consciente que les populations locales les « soutiennent » et leur viennent en aide comme elles le peuvent ; comme le propriétaire du logement d’Ibrahim, qui a réduit de moitié le montant du loyer lorsqu’il a su qu’il venait de Gaza. Dans les pays arabes, « la population est acquise à la cause palestinienne ou libanaise, mais sa marge de manœuvre est quasi nulle face aux régimes en place, souvent autoritaires. Les élites ne sont pas en phase avec leur population », analyse Hasni Abidi.

Un alibi parfait pour l’Occident

La Jordanie, les Émirats arabes unis, le Qatar, l’Arabie saoudite… « Ils ont peur qu’on reste là-bas ? Et même si on reste parce qu’on a des proches qui peuvent nous accueillir, qu’est-ce que ça peut leur faire ? », interroge l’exilée gazaouie déjà citée.

Pour Hasni Abidi, le monde arabe « redoute une deuxième Nakba », cet exode palestinien de 1948. « La question des réfugiés palestiniens est une ligne rouge pour Israël. En les accueillant en nombre, les États arabes ne veulent pas donner un prétexte à Israël pour priver les Palestiniens d’un droit au retour sur leurs terres. »

En dehors de ces « bonnes » intentions, dont il est difficile de mesurer la sincérité, les pays arabes ne veulent surtout pas s’engager sur un accueil de long terme, en voyant une démarche humanitaire « se transformer finalement en un séjour éternel ». Hasni Abidi : « Voyez les camps de réfugiés palestiniens au Liban, pour lesquels Israël empêche tout retour en Palestine. »

Face à ce que certaines voix qualifient déjà de génocide ou de « campagne génocidaire » comme l’historien israélo-américain Omer Bartov, Shaïma*, une autre Palestinienne originaire de Gaza, perd patience. « Le monde reste silencieux. Mais ce qui me choque le plus, c’est de voir que le monde arabe ne fait rien », s’insurge-t-elle.

Constatant qu’Israël bombarde déjà un autre pays voisin, le Liban, elle commente : « Viendra leur tour un par un. Ils vivront à un moment ou à un autre ce que les Palestiniens ont subi. Israël a volé nos terres et le fera ailleurs. Tant que personne ne les arrêtera, ils feront toujours pire. »

Cette « paralysie du monde arabe » décrite par Shaïma est enfin utilisée comme un « argument de taille » par les pays occidentaux, décrypte Hasni Abidi. « Cela leur permet de dire qu’ils ne peuvent pas faire mieux. » Mais au fond, « ce sont les Occidentaux qui ont encouragé la démission des pays arabes, dont l’Égypte, qui reste tributaire d’une aide économique et militaire extérieure très importante ».

En mars, l’Union européenne a débloqué une aide de 7,4 milliards d’euros pour l’Égypte, dont 200 millions pour l’aider à contrôler ses frontières. Une façon pour Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, de « saluer son rôle de stabilisateur dans le conflit israélo-palestinien et de gendarme pour Israël », conclut le chercheur.


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