La Cour internationale de justice a mis fin à la supercherie d’Oslo

mardi 13 août 2024

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Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin (à gauche), le président américain Bill Clinton (au centre) et le président de l’OLP Yasser Arafat (à droite), lors de la signature des accords d’Oslo, le 13 septembre 1993. (Photo : Wikimedia Commons)

Israël est jugé pour génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ). Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens pour crimes contre l’humanité. Des millions de personnes à travers le monde, Palestiniens, Juifs, Musulmans, Chrétiens, étudiants, travailleurs et autres, se mobilisent pour contester le colonialisme de peuplement israélien, l’apartheid et le génocide. Le mur de l’impunité, construit brique par brique par les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres gouvernements occidentaux, vieux de 76 ans, commence à s’effondrer.

Une autre preuve de ce fait est venue le 19 juillet dernier, lorsque la CIJ a statué, dans un avis consultatif stupéfiant, que le droit international protège les droits des Palestiniens et que ces derniers n’ont pas besoin de négocier avec leurs oppresseurs pour obtenir ces droits dans le cadre d’Oslo ou de tout autre cadre politique, portant un coup fatal à des décennies d’efforts américains et occidentaux pour placer Israël hors de portée de l’État de droit. Avec cette simple déclaration, la Cour a mis fin à trois décennies d’exceptionnalisme israélien fondé sur la ruse d’Oslo comme obstacle à l’application du droit international.

La cause des droits de l’homme du peuple palestinien est pourtant confrontée à un défi de taille. Le projet sioniste en Palestine, soutenu par l’Occident, a une longueur d’avance depuis des décennies dans la construction de ses murs oppressifs, au sens propre comme au sens figuré.

Jeter les bases de l’exceptionnalisme juridique

L’un de ces murs, dont les fondations ont été posées dès 1947 et 1948, est celui de l’exception juridique. Avant même que l’encre de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Convention des Nations Unies sur le génocide ne soit sèche, l’Organisation des Nations Unies naissante, contrôlée par l’Occident, a créé une exception pour Israël, qui devait être au-dessus des lois.

En Palestine, tout a commencé avec le partage forcé du territoire, qui constituait une violation directe des interdictions juridiques internationales interdisant l’acquisition de territoires par la force et le déni de l’autodétermination des peuples autochtones. Cela a été suivi par l’échec lamentable de l’ONU et de l’Occident à intervenir pour mettre fin au nettoyage ethnique génocidaire de la Palestine qu’était la Nakba de 1947-1948. Alors que des résolutions critiques et des gestes symboliques allaient suivre à l’ONU, l’Occident s’est mis à travailler sérieusement à aider et à armer Israël afin de le rendre imperméable aux diktats extérieurs du droit international, et à déshumaniser et à déresponsabiliser le peuple palestinien, afin d’empêcher toute menace interne réelle au projet colonial.

Lorsque le contrôle occidental sur l’Assemblée générale des Nations Unies a commencé à faiblir à la fin des années 1960 et dans les années 1970, en raison de l’entrée en fonction d’une vague d’États nouvellement indépendants du Sud, la tendance a commencé à s’inverser. Le peuple palestinien a trouvé un nouveau soutien dans sa lutte auprès des États nouvellement indépendants et l’Union soviétique a abandonné la position pro-sioniste de Staline en faveur d’une position en faveur des Palestiniens autochtones. À l’ONU même, les positions déclaratoires antérieures sur les droits de l’homme ont été codifiées dans des traités internationaux contraignants, le principe d’autodétermination est devenu une norme mondiale fondamentale et le mouvement pour la décolonisation mondiale a pris de l’ampleur. En conséquence, alors même que l’Occident redoublait d’efforts pour apporter son soutien, Israël et sa colonisation sioniste de la Palestine ont été confrontés à un isolement de plus en plus grand. Dans les années 1970, l’ONU a affirmé le droit de résister à l’occupation étrangère, à la domination coloniale et aux régimes racistes, et a déclaré que le sionisme était une forme de racisme et de discrimination raciale. L’ONU a établi des mécanismes spéciaux de défense des droits de l’homme pour surveiller les droits de l’homme du peuple palestinien. Ces développements portaient atteinte au projet occidental d’exceptionnalisme israélien et commençaient à menacer l’impunité israélienne.

Mais au moment même où l’approche centrée sur le droit international gagnait du terrain, la fin de l’Union soviétique a ouvert une nouvelle ère unipolaire de domination américaine largement incontrôlée. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux se sont employés à protéger Israël des critiques juridiques et des droits de l’homme aux Nations Unies, en révoquant la résolution déclarant que le sionisme était une forme de racisme et en faisant suivre la Conférence de Madrid par ce qui allait devenir le processus d’Oslo, dans lequel les droits des Palestiniens seraient à la discrétion de leur occupant israélien et de son sponsor américain.

Les années 1990 ont ainsi commencé avec un effort concerté des États-Unis pour mettre de côté le droit international et les droits de l’homme, qui favorisaient la position palestinienne, au profit de négociations politiques, que les États-Unis domineraient en agissant en faveur d’Israël. Les Palestiniens étaient désormais contraints, sans le bénéfice du droit international, de négocier leurs droits non seulement avec ceux qui les occupaient et les opprimaient, mais aussi avec la seule superpuissance mondiale qui était l’allié le plus proche de l’occupant. L’impuissance du peuple palestinien était presque totale.

Pendant les trois décennies qui ont suivi, la situation des Palestiniens sur le terrain a continué de se détériorer, tandis que la répression israélienne et les activités de colonisation se poursuivaient à un rythme soutenu derrière le rideau de fumée d’Oslo. En effet, les accords d’Oslo ont été soigneusement élaborés en partie pour empêcher toute action en justice contre Israël pour violation des droits de l’homme des Palestiniens. Israël a saisi cette occasion d’impunité accrue pour perpétrer pendant plus de trente ans des vols de terres, des expulsions, l’expansion des colonies et la persécution de Palestiniens sans défense dans les territoires occupés. Oslo a été, en substance, une aubaine pour les crimes de guerre.

De leur côté, les États-Unis et leurs alliés occidentaux ont déployé l’intégralité de leur puissance diplomatique, militaire et économique pour renforcer l’impunité israélienne et pour insister sur le fait que l’application du droit international à cette question était inappropriée et « inutile  » aux négociations et à la paix.

Des fissures commencent à apparaître

Des fissures dans le mur d’impunité d’Israël apparaîtraient surtout après l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement d’extrême droite en Israël en 2023. Ce gouvernement, composé d’un méli-mélo de certains des fascistes, suprémacistes, colons et criminels de guerre les plus odieux du pays, abandonnerait immédiatement la politique de génocide progressif d’Israël (approuvée par l’Occident) depuis 75 ans, en faveur d’un génocide accéléré. Il a immédiatement pris des mesures pour étendre les colonies, multiplier les attaques et perpétrer des pogroms dans les villes et villages palestiniens de Cisjordanie, expulser les familles palestiniennes de Jérusalem-Est, codifier davantage l’apartheid dans la loi (en s’appuyant sur la loi discriminatoire sur l’État-nation de 2018) et arrêter des centaines de prisonniers politiques supplémentaires. Après l’attaque du sud d’Israël par des groupes armés de résistance palestinienne en octobre, Israël a lancé une campagne impitoyable d’annihilation contre la population de Gaza et a encore intensifié ses attaques contre les Palestiniens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.

L’attaque génocidaire d’Israël contre Gaza a été si atroce, avec un siège médiéval et une politique de la terre brûlée contre 2,3 millions d’êtres humains enfermés dans des cages, coupant toute nourriture, eau, carburant et médicaments, massacrant des dizaines de milliers de personnes, commettant systématiquement des actes de torture, détruisant des maisons, des camps de réfugiés, des hôpitaux, des écoles, des universités, des installations humanitaires et de l’ONU, imposant intentionnellement la maladie et la famine, tuant des civils avec des fusils de sniper et rasant la majeure partie de Gaza, que les mécanismes juridiques internationaux, longtemps muets, se sont trouvés incapables de résister à la demande publique de rendre des comptes. Le bâillon d’Oslo imposé par les États-Unis s’effilochait et le droit international commençait à faire entendre sa voix vertueuse.

La CIJ et la CPI étaient toutes deux attentives. Elles étaient conscientes que, devant l’opinion publique, nourrie par des images infinies d’horreurs génocidaires diffusées en direct dans le monde entier (et par une perception de longue date d’un double standard occidental dans les mécanismes internationaux), c’était le droit international lui-même qui était en procès, y compris ces institutions judiciaires. Soit ces tribunaux agiraient, soit ils seraient définitivement délégitimés. Il faut leur rendre hommage pour avoir trouvé le courage de passer outre les pressions occidentales (y compris les menaces directes contre le personnel de la Cour par les agences de renseignement israéliennes et les responsables gouvernementaux occidentaux). À la demande de l’Afrique du Sud, la CIJ s’est réunie pour examiner une accusation de génocide contre Israël, a jugé cette accusation plausible et a ordonné plusieurs séries de mesures provisoires pour qu’Israël mette un terme à ses actions criminelles. Le procureur de la CPI, après des années de blocage et de déviation sur le dossier palestinien, a demandé des mandats d’arrêt contre le Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens pour crimes contre l’humanité. Les deux processus sont toujours en cours, faisant surgir le spectre d’une véritable responsabilité pour les crimes internationaux d’Israël pour la première fois depuis le lancement du paradigme d’Oslo.

Les coups de grâce portés au statu quo

Mais la CIJ a fait autre chose. Le 19 juillet 2024, elle s’est prononcée sur une demande d’avis consultatif présentée par l’Assemblée générale des Nations Unies, énonçant avec une clarté juridique étonnante les droits du peuple palestinien et les exigences du droit international dans le territoire palestinien occupé.

La Cour a définitivement jugé qu’Israël commettait un apartheid et une ségrégation raciale, que toute la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza étaient des territoires occupés, que l’occupation était illégale, qu’Israël devait supprimer toutes les colonies, les colons, les soldats et les infrastructures d’occupation, démanteler le mur d’apartheid en Cisjordanie, fournir des réparations aux Palestiniens et permettre à tous ceux qui ont été expulsés de rentrer chez eux.

La Cour a également déclaré que tous les États ont l’obligation juridique de ne pas reconnaître ni soutenir l’occupation et qu’ils sont tenus de contribuer à mettre un terme à l’occupation israélienne et à ses autres violations. Elle a également estimé que tous les États doivent mettre fin à toutes les relations conventionnelles avec Israël concernant les territoires palestiniens et cesser toutes les relations économiques, commerciales et d’investissement liées aux territoires occupés. La CIJ a ainsi donné une autorité juridique internationale claire au mouvement anti-apartheid et à l’appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions.

Il a rejeté de manière cruciale les arguments des États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux qui cherchaient à faire valoir que la Cour devrait s’en remettre aux négociations post-Oslo entre l’occupant et l’occupé, et à la politique du Conseil de sécurité, plutôt qu’à l’application du droit international.

La Cour, rejetant ces arguments, a déclaré que de telles négociations et accords ne peuvent pas et ne doivent pas prévaloir sur les droits des Palestiniens et sur les obligations d’Israël en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. La Cour a d’abord estimé que, dans tous les cas, les parties doivent exercer les pouvoirs et responsabilités qui leur incombent en vertu de ces accords dans le respect des normes et principes du droit international.

Invoquant l’article 47 de la quatrième Convention de Genève, la Cour a ensuite mis un terme définitif à l’affaire, rappelant aux États qu’en droit, « la population protégée ne pourra être privée des avantages de la Convention par aucun accord conclu entre les autorités des territoires occupés et la puissance occupante ». « Pour cette raison », a poursuivi la Cour, « les accords d’Oslo ne peuvent être interprétés comme portant atteinte aux obligations d’Israël en vertu des règles pertinentes du droit international applicables dans le territoire palestinien occupé ».

En termes simples, la Cour a affirmé que les Palestiniens sont des êtres humains dotés de droits humains, qu’ils n’ont pas besoin de négocier leurs droits humains avec leur oppresseur et qu’Israël n’est pas au-dessus des lois.

Les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux tenteront sans aucun doute de ressusciter la ruse d’Oslo pour défendre leur projet colonial en Palestine. Ce faisant, ils invoqueront « l’ordre fondé sur des règles » (c’est-à-dire le régime impérial dicté par les Etats-Unis) et rejetteront le droit international (le droit universel codifié qui s’applique à tous les Etats). Mais la durée de vie de ces stratagèmes est expirée. Le mouvement pour la libération de la Palestine, pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions, et pour la fin du colonialisme, de l’apartheid et du génocide en Palestine, grandit de jour en jour. Ce mouvement a été encore renforcé par les récents développements du droit international. Et la CIJ a finalement enfoncé un pieu dans le cœur du vampire d’Oslo.

Source : MONDOWEISS
Craig Mokhiber le 7 août 2024

Craig Mokhiber est un avocat international spécialisé dans les droits de l’homme et ancien haut fonctionnaire des Nations Unies. Il a quitté l’ONU en octobre 2023, après avoir écrit une lettre largement lue qui mettait en garde contre le génocide à Gaza, critiquait la réponse internationale et appelait à une nouvelle approche de la Palestine et d’Israël fondée sur l’égalité, les droits de l’homme et le droit international.


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