VIOLENCES À AMSTERDAM : 24 HEURES D’HYSTÉRIE ET DE NAUFRAGE MÉDIATIQUE
Récit partiel, vidéos manquantes ou fausses, angles morts...
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Pendant les 24h qui ont suivi les violences qualifiées d’antisémites qui ont eu lieu à Amsterdam les 7 et 8 novembre, médias et politiques ont tourné en boucle, reprenant sans aucune prudence la rhétorique du gouvernement israélien d’une "chasse aux juifs", voire d’un "pogrom". Une machine qui s’est emballée au sacrifice de la prudence vitale dans ce genre d’histoire et du contexte. En résulte un récit médiatique aux nombreux angles morts et une instrumentalisation visant à criminaliser un peu plus le soutien à la cause palestinienne, avec pour conséquence une critique des médias extrêmement vive et la défiance qui va avec. Retour sur une hystérie collective.
Les premières vidéos de ce que la maire d’Amsterdam, Femke Halsema, a qualifié de "nuit noire", ont émergé sur les réseaux sociaux jeudi 7 novembre un peu après minuit. Des images de nuit, sur lesquelles on ne voit pas grand chose mais qui permettent malgré tout de comprendre un peu ce qui se joue : des hommes s’y font violemment poursuivre et agresser par d’autres dont certains sont masqués. Ces scènes se déroulent à Amsterdam, à la suite du match de Ligue Europa entre l’Ajax et le Maccabi Tel-Aviv qui se déroulait le soir même à la Johan-Cruijff Arena.
Sur l’une des vidéos qui a le plus tourné et choqué, on voit un homme au sol, crier qu’il n’est pas juif pour qu’on ne le frappe pas. Sur une autre, un corps à même le sol, apparemment inconscient, est roué de coups de pied. Une troisième laisse deviner un canal de la ville. Un homme qui semble avoir été jeté dedans est forcé à dire "Free Palestine" ("Libérez la Palestine") pour être sorti de l’eau. Les intentions des agresseurs visibles sur ces vidéos semblent claires, il s’agit de venger la Palestine pour le massacre mené par le gouvernement israélien sur Gaza depuis plus d’un an. "Dis free Palestine" hurle l’un sur un supporter. "Ça c’est pour les enfants tués", assène un autre. Ces quelques vidéos glaçantes inondent les réseaux et tournent en boucle sur les médias français depuis le petit matin du 9 novembre.
ATTAQUES ANTISÉMITES OU ANTI-ISRAÉLIENNES ?
Au même moment, Benyamin Netanyahou annonce l’envoi de deux avions pour évacuer les supporters israéliens d’Amsterdam. Une mesure spectaculaire qui provoque de nombreuses réactions au sein de la communauté internationale.
Chez les politiques comme dans la majorité des médias, il est évident que les supporters de Maccabi ont été agressés parce que juifs, et que les agressions et passages à tabac sont des actes antisémites. Ce sont donc les représentants de la communauté juive en France qui sont invités sur les plateaux. Sur BFM, après avoir dénoncé un "lynchage de masse" (sans jamais préciser de combien de personnes il est question), Yonathan Arfi affirme que ces agressions n’ont pas eu lieu "seulement au nom du conflit qui se passe à Gaza, mais aussi parce qu’ils sont Juifs". Yossef Murciano, le Président de l’Union des Étudiants Juifs de France évoque lui aussi "une chasse aux Juifs". "Le caractère de ces images est clairement antisémite, c’est indubitable" renchérit Tina Théallet de la Licra. Même certitude dans 24H Pujadas sur LCI et sur X où Anne Sinclair parle de "groupes organisés" pour "casser du Juif".
Les titrailles diffèrent d’un média à l’autre et certains (Le Monde, Radio France, Le Nouvel Obs) font le choix de ne pas qualifier eux-même les attaques d’antisémites.
Sur X, le terme de "pogrom antisémite", utilisé par le président israélien Isaac Herzog, est repris - sans surprise - tel quel par Julien Bahloul, ex porte-parole français de l’armée israélienne : "N’importe quelle personne avec un minimum de culture générale qui a une fois visité un musée de la Shoah peut comprendre que ce qui s’est passé à Amsterdam est un pogrom anti juif". D’autres éditorialistes (et toutologues) reprennent la rhétorique israélienne. Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles de Libé, évoque "l’Europe des pogroms", Julien Dray dénonce "un pogrom organisé avec la complicité de la police d’Amsterdam". Le mot est également repris dans TPMP ou encore sur BFM, dans Face à Thréard.
Une certitude partagée, sur CNews, par Pascal Praud : "Ce qui s’est passé cette nuit à Amsterdam c’est un pogrom, c’est-à-dire qu’on tue des gens, on attaque des gens parce que Juifs". Dans L’Heure des Pros, l’animateur ouvre son émission avec gravité "un Français juif qui est un ami m’a regardé ce matin et m’a dit : « La chasse est ouverte, Pascal »". De quoi susciter l’effroi chez les téléspectateurs juifs, déjà fortement impactés par l’antisémitisme qui explose depuis le 7 octobre. Mais Praud n’est pas là pour calmer les esprits : "Les français juifs vont quitter la France, c’est ça la réalité, c’est ce que j’entends en permanence !".
Emmanuel Macron fait de son côté référence à la nuit de Cristal et dénonce des évènements "qui rappellent les heures les plus indignes de l’histoire". Pour rappel, la nuit de Cristal s’est déroulée, en Allemagne, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, et a donné lieu à la destruction de 260 lieux de cultes, 7500 commerces et vu l’assassinat d’une centaine de juifs et juives. 70 000 furent déportés. L’AFP évoque, au sujet de la nuit suivant le match de foot, "cinq personnes brièvement hospitalisées" à Amsterdam.
RÉCIT PARTIEL ET ANGLES MORTS
Durant toute la journée du vendredi, la plupart des médias s’alignent sur le narratif israélien et peinent à livrer un récit contextualisé, ou à minima prudent, alors même que le chef de la police d’Amsterdam, Peter Holla révèle lors d’une conférence de presse à la mi-journée que "les violences avaient déjà débuté mercredi soir entre supporters", et évoque "une nuit avec des incidents des deux côtés". Détaillant : "Les partisans du Maccabi Tel-Aviv (ndr - le club israélien) ont retiré un drapeau d’une façade du Rokin et ont détruit un taxi. Un drapeau palestinien a été incendié". La dépêche AFP de 13h30 fait référence à des "heurts dont les circonstances demeurent pour l’instant floues".
Au 13h de TF1, pour rendre compte de cette complexité apparente, on évoque "des individus non identifiés" qui ont "arraché les drapeaux palestiniens" et dont "certains ont entonné des chants anti-palestiniens en pleine rue". Au 20h, le sujet diffusé pose la question : "Les agresseurs ont-ils voulu répondre à ces supporters israéliens qui ont scandé juste avant le match : « Laissons l’armée israélienne gagner pour éliminer les arabes » ?". Dans le journal de France 2, il est question de "chants anti-arabes et à la gloire de l’armée israélienne".
Côté France Info, la prudence est de mise quant au "déroulé des faits", qui n’est "pas encore clair vendredi matin". Tandis que sur France Inter, le journal de 9h évoque des "affrontements entre hooligans", mais ne donne aucun détail. Il faudra attendre celui de 13h pour entendre les termes "provocations israéliennes", et celui de 18h pour obtenir plus de contexte : les incidents du mercredi sont évoqués, ainsi que des "violences en marge du match", des "chants haineux contre les arabes" et des "drapeaux palestiniens arrachés", tout comme la minute de silence en mémoire des victimes espagnoles des inondations non respectée par le Maccabi Tel Aviv. Près de 24h pour avoir un peu de contexte.
Autre angle mort, le contexte local de tension dans lequel s’est tenu ce match. L’organisation Week 4 Palestine qui juge "immoral et inacceptable que le Maccabi Tel Aviv soit le bienvenu à Amsterdam et dans la compétition européenne" avait appelé à un rassemblement pour protester contre la venue du club de foot israélien. La manifestation qui était initialement prévue aux abords du stade a finalement été déplacée par la maire pour des raisons de sécurité. Des éléments que l’AFP évoque dès sa première dépêche du vendredi à 6h12, mais qui ne sont pas repris dans les médias. Tout comme le fait que la police néérlandaise avait déclaré sur X être "particulièrement vigilante" après plusieurs premiers incidents, "dont un drapeau palestinien arraché d’une façade par des inconnus’"
MINIMISATION DU RACISME DES HOOLIGANS ISRAÉLIENS
Aucun média ne s’interroge sur la nature des victimes : de simples supporters, ou des hooligans ? Peu d’entre eux prennent la peine de s’intéresser au profil des supporters du Maccabi Tel Aviv. Pourtant, comme le rappelle Le Monde, les ultras du club "se sont souvent illustrés par leur racisme anti-Arabes et leurs actions menées contre des manifestants hostiles à M. Nétanyahou". En mars dernier, à l’occasion d’un match contre l’Olympiakos, des ultras du Maccabi avaient lynché trois personnes sur la place Syntagma à Athènes, envoyant l’un d’eux à l’hôpital, comme le rapportait sur X le journaliste indépendant basé à Athènes, Alexandre Kottis. L’ONG New Israel Fund a d’ailleurs classé les supporters du club comme les fans les plus racistes en Israël juste derrière ceux du Beitar Jerusalem. Ils sont réputés pour hurler des insultes racistes sur les joueurs arabes ou noirs.
Comme le note France 24 avec une vérité presque déconcertante : "Aucun leader européen n’a condamné les chants racistes antiarabes, ni les actions violentes menées par les supporters israéliens". Aucun leader européen et si peu de médias. Au contraire, les comportements des hooligans israéliens sont même parfois minimisés. Le terme "anti-palestinien" voire "anti-arabes" est souvent préféré au pourtant très factuel "raciste". BFM va jusqu’à utiliser une périphrase floue ("des chants qui n’avaient rien à voir avec le match") plutôt que de nommer les chants racistes, et décrire dans leur exhaustivité ce qu’ils recouvrent.
Par ailleurs, une séquence où l’on voit les supporters du Maccabi arriver à l’aéroport international de Tel Aviv, et entonner des chants racistes glorifiant notamment les bombardements sur les écoles à Gaza, est largement partagée sur les réseaux, et reprise dans The Times of Israël. Mais elle est absente du traitement médiatique français. Dans le JT de France 2, le seul commentaire évoquant les retours des supporters est le suivant : "Le premier avion est arrivé en début d’après-midi à Tel Aviv avec des supporters traumatisés".
SOURCE : Arrêt sur image