Un décret royal interdit-il à la population marocaine de manifester son soutien à Gaza ?

samedi 7 septembre 2024

JPEG - 233.5 ko Des manifestants participent à un rassemblement de soutien aux Palestiniens de Gaza, à Rabat, au Maroc, le samedi 3 août 2024. (STR/AP)

Le chroniqueur de RMC Mehdi Ghezzar a été vivement critiqué, et viré de la chaîne, pour avoir dénoncé une influence juive sur la politique marocaine lors d’une émission à la télévision algérienne.

La direction de RMC a annoncé mercredi 28 août sa décision de "mettre un terme" à la participation de Mehdi Ghezzar à l’émission les Grandes gueules dont il était chroniqueur. En cause, des propos très commentés tenus trois jours auparavant dans le cadre d’une émission le 25 août sur Al24News, chaîne de la télévision publique algérienne. « Le peuple marocain n’a pas le droit de manifester son mécontentement, sa solidarité avec le peuple de Gaza. Par décret royal. C’est interdit. Ils risquent des peines de prison. Ils n’ont pas le droit d’en parler dans les mosquées », a affirmé Mehdi Ghezzar, avant d’ironiser sur l’« influence juive » derrière ces supposés décisions. Alors que l’un des autres invités assène en plateau qu’André Azoulay, conseiller du roi de confession juive, serait à l’origine dudit décret royal, le chroniqueur, feignant ironiquement l’ignorance, déclare « ah bon ? ah bon ? », avant que le plateau n’évoque à plusieurs reprises l’« entité sioniste ».

En plus d’être teintés d’antisémitisme, les propos tenus sont également inexacts. Ainsi, concernant l’interdiction d’évoquer Gaza dans les sermons des mosquées, Mehdi Ghezzar semble relayer une information ayant circulée il y a presque un an après le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, et ayant été démentie à l’automne. En octobre, un fax du ministère des Habous et des Affaires Islamiques avait circulé sur les réseaux sociaux. Ce document, supposément transmis à différentes mosquées exiger d’« interdire tout sermon sur les massacres en cours en Palestine ». Le 25 octobre, le ministère avait démenti l’authenticité du fax dans un communiqué de presse en expliquant avoir retracé l’origine de ce document, publié sur un site internet marocain de la région de Tanger.

L’affirmation selon laquelle le « peuple marocain n’a pas le droit de manifester sa solidarité avec peuple de Gaza », du fait d’un décret royal, n’est guère plus étayée. Contacté par CheckNews, Mourad Elajouti, président du Club des Avocats du Maroc, qui a réagi aux propos du chroniqueur, dénonce une fake news. Il n’existe « absolument aucun décret interdisant l’organisation de manifestations en soutien au peuple de Gaza », affirme-t-il. En témoigne, ajoute-t-il, les nombreuses « manifestations organisées » lors des six derniers mois. De fait, en témoignent des photos et vidéos sur les réseaux sociaux, des manifestations et rassemblements propalestiniens se tiennent régulièrement à travers le pays. Le Front marocain pour soutenir la Palestine et contre la normalisation a notamment appelé à manifester le 27 août devant le Parlement à Rabat. Sur des vidéos publiées le 28 août sur la page Facebook de cette association, on peut effectivement voir des manifestants rassemblés devant la chambre des représentants marocaine et arborant des drapeaux Palestiniens. D’après les photos et vidéos partagés par l’association sur son compte Facebook, des rassemblements ont été organisés au mois d’août, les 20 et 27 août. Même chose à Marrakech où l’antenne locale de l’association publie le 6 août une vidéo d’une manifestation qui s’est tenue dans les rues de la ville. Ali Amar, cofondateur du média marocain Le Desk confirme à CheckNews que l’affirmation d’une interdiction de rassemblements en soutien à Gaza est « totalement dénuée de fondement ».

Ces fausses informations interviennent alors que le Maroc est accusé, notamment par son voisin algérien, de se rendre « complice » d’Israël. En décembre 2020, le Maroc avait accepté de normaliser ses relations avec l’Etat hébreu, allié historique des Etats-Unis, obtenant en contrepartie de Washington la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Ce rapprochement avec Israël, qui a débouché depuis sur diverses coopérations, avait dès l’origine été mal perçu par une grande partie de la population marocaine. Les frappes sur Gaza en réponse à l’attaque du Hamas le 7 octobre ont largement exacerbé ce malaise, et les critiques, sur le sujet. Les manifestations marocaines de soutien à la Palestine, explique Francesco Colin, chercheur à l’Institut international d’études sociales, sont aussi l’occasion de contester la normalisation des relations avec Israël.

Si Francesco Colin infirme lui aussi l’existence d’un décret royal interdisant le soutien à Gaza, cela ne signifie pas non plus une totale liberté. Il y a certes « moins de répression » de ce type de manifestations « mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contrôle, notamment sur les réseaux sociaux », indique le chercheur. Qui explique par exemple qu’il y a « des risques », notamment si les « critiques visant la normalisation touchent la figure du roi ». Celui-ci étant réputé « inviolable dans la constitution marocaine ».

Source : Libération