Pour le curé de Ramallah, tout espoir de paix s’amenuise
Le père Jamal Khader, prêtre à Ramallah, partisan d’une résistance pacifique contre l’occupation des territoires palestiniens, nourrit peu d’espoir face aux difficultés économiques et à la politique israélienne.
Le père Jamal Khader, curé de Ramallah © Matthieu Stricot
Il y a quelques semaines, la cinquième promotion de l’Institut des hautes études du monde religieux s’est rendue en Israël et dans les Territoires palestiniens, pour un atelier de terrain, à la rencontre d’acteurs religieux, politiques et culturels. Les auditrices et auditeurs ont été reçus par le père Jamal Khader, curé de Ramallah (Cisjordanie), qui a loué les valeurs évangéliques portées par les Églises dans la société palestinienne. Malheureusement, l’espoir s’effrite face aux difficultés économiques et à la politique israélienne de colonisation. Rejetant toute violence, le prêtre appelle à une résistance pacifique. Avec un leitmotiv : justice et dignité pour tous.
Juifs, chrétiens et musulmans cohabitent en Terre Sainte depuis des siècles. Comment se développe le dialogue interreligieux dans les Territoires palestiniens ?
Avec les musulmans, majoritaires en Palestine, nous partageons tout sauf la religion : la même culture, la même langue, les mêmes coutumes, la même vie sociale, les mêmes difficultés. Ce sont mes voisins, mes anciens élèves, mes collègues.
Face au développement du fondamentalisme au Moyen-Orient, les musulmans partagent la même préoccupation pour la diversité et l’héritage palestinien. Côté chrétien, nous avons treize Églises, parmi lesquelles l’Église orthodoxe grecque, qui est la plus importante, et les nombreuses Églises orthodoxes orientales, notamment arménienne et syrienne. On compte également cinq Églises catholiques – grecque melkite, syrienne, arménienne, maronite et de rite latin. La quatrième famille, protestante, comprend l’Église luthérienne et l’Église anglicane. À Ramallah, qui compte six Églises, le dialogue œcuménique a fortement progressé. Nous organisons des activités et des prières communes. Ce partage doit également beaucoup aux mariages mixtes, très nombreux. Mes deux sœurs, par exemple, sont mariées à des orthodoxes.
Au départ, le conflit était politique : les juifs voulaient un État pour eux. Désormais, il y a des revendications exclusives et dangereuses de la terre au nom de Dieu.
Depuis le XXe siècle, le nombre de chrétiens a considérablement diminué en Palestine. Pourquoi ont-ils émigré massivement ?
Les migrations des chrétiens ont toujours été liées à l’instabilité économique et politique. Plus éduqués que les autres, ils incarnaient la petite bourgeoisie palestinienne, ce qui les rendait plus vulnérables à ces évolutions. Mais peu importe le nombre. La présence et la mission chrétienne comptent davantage. Nous avons quelques privilèges politiques. Dans une dizaine de villages et villes, un édit présidentiel stipule que la majorité du conseil municipal et le maire doivent être chrétiens. C’est le cas à Ramallah, où ils ne représentent que 20 % de la population.
Dans l’éducation, les Églises sont aussi fortement représentées. À Ramallah, nous avons sept écoles chrétiennes. Le Patriarcat a ouvert les premières écoles primaires en Terre Sainte en 1856 et les écoles secondaires en 1936. Un pourcentage important de Palestiniens, musulmans inclus, passe par les écoles chrétiennes ou à l’université catholique de Bethléem. L’éducation est une priorité absolue pour les Palestiniens. Mon père travaillait dans une usine israélienne et ses sept enfants ont suivi des études supérieures. Les écoles chrétiennes accordent une grande importance aux valeurs évangéliques, au respect de la vie, de la dignité, de la diversité, de la coexistence, de la paix et de la justice.
Où en est le dialogue avec les juifs ?
J’ai fait partie de la commission diocésaine de dialogue avec les juifs pendant cinq ans. J’ai donc eu la chance d’échanger avec nombre d’entre eux au niveau religieux. Mais nous vivons depuis plus de cinquante ans sous occupation militaire. En 1948, les juifs sont arrivés pour occuper 78 % de la Palestine historique. J’avais 3 ans en 1967, lors de la guerre des Six-Jours et de ma première rencontre avec un juif : un soldat avec un fusil. Aujourd’hui, les soldats qui contrôlent les checkpoints sont des juifs. Pour nous, le juif, c’est l’Israélien et l’occupation. Ce qui empêche malheureusement les rencontres au-delà de l’uniforme.
Au départ, le conflit était politique : les juifs voulaient un État pour eux. Désormais, il y a des revendications exclusives et dangereuses de la terre au nom de Dieu. Les colons israéliens viennent brûler les arbres et accaparer des terrains dans les Territoires palestiniens, la Bible en main comme justification. Cette colonisation est défendue par certains chrétiens. En Afrique du Sud, la ségrégation raciale était aussi appuyée par des arguments bibliques.
Malheureusement, la rhétorique violente est toujours utilisée par certains, qui rappellent qu’Israël a quitté le Liban du Sud à cause du Hezbollah, et a évacué les colonies à Gaza sous la pression du Hamas.
Après une brève période d’optimisme consécutive aux accords d’Oslo en 1993 et à la création de l’Autorité palestinienne, la situation s’est dégradée. Gardez-vous toutefois un espoir de paix ?
L’assassinat de Yitzhak Rabin, en 1995, et l’arrivée au pouvoir un an plus tard du Likoud, opposé à l’existence d’un État palestinien, ont changé la donne. Désormais, plus de 650 000 colons israéliens sont dispersés dans les Territoires palestiniens. Nous subissons un véritable siège économique. Depuis quatre ou cinq mois, Israël a décidé de ne pas reverser aux Palestiniens les taxes sur les produits importés. Résultat : l’Autorité palestinienne manque d’argent, entre 40 et 50 % des fonctionnaires ne pas payés. Les mesures de l’administration américaine ont coupé jusqu’à l’aide aux hôpitaux. À Gaza, 90 % de l’eau est polluée.
Nous commençons à perdre l’espoir d’un futur de paix. Que faire ? Si nous utilisons la violence, nous sommes qualifiés de terroristes. Si nous négocions, nous sommes laissés à notre compte. Les Palestiniens privilégient une troisième voie : la résistance non violente, notamment avec le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). Mais on nous accuse alors d’être antisémites ! Malheureusement, la rhétorique violente est toujours utilisée par certains, qui rappellent qu’Israël a quitté le Liban du Sud à cause du Hezbollah, et a évacué les colonies à Gaza sous la pression du Hamas. Comment, alors, convaincre les jeunes que seule la non-violence donne des résultats ?
Le mouvement BDS peut-il parvenir à faire pression sur Israël ?
La colonisation est une économie florissante en termes de ressources, notamment dans la vallée du Jourdain, très fertile. Les produits des colonies arrivent sur le marché européen. Les acheter, n’est-ce pas appuyer l’occupation et empêcher la résolution du problème ? Combien d’entreprises profitent de l’occupation dans l’électronique ou dans la construction du mur et des habitations ? Des compagnies françaises ont participé à la mise en place des lignes de train reliant les colonies autour de Jérusalem avec Jérusalem-Ouest, en passant par Jérusalem-Est.... Le BDS est un mode d’action indispensable.
Des militants israéliens se mobilisent pour que les Palestiniens puissent vivre en paix. Peuvent-ils changer la donne ?
Des citoyens israéliens courageux viennent empêcher la destruction de maisons palestiniennes. Des femmes viennent régulièrement aux checkpoints pour s’assurer que l’on traite les Palestiniens avec dignité. Mais ce sont la droite et l’extrême droite qui sont au pouvoir. Où est passée la gauche, qui croyait à la paix ? Les politiciens et les médias israéliens ont été très habiles pour susciter la peur. La population israélienne, comme nous, veut vivre en paix. Mais ce n’est pas le point de vue des politiques. Il y a peu, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a fait une proposition sur le plan économique. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a assuré que ça ne représentait pas de danger pour la sécurité d’Israël, mais que les partis de sa coalition s’y opposaient. Il est plus préoccupé par les calculs politiciens que par le futur des enfants du pays.
Où est passée la gauche, qui croyait à la paix ? La population israélienne, comme nous, veut vivre en paix. Mais ce n’est pas le point de vue des politiques.
Croyez-vous encore à la création d’un État palestinien malgré le processus de colonisation en Cisjordanie ?
Les colons achètent des maisons à des prix très bas, ne payent pas de taxes. Si on leur coupe ces privilèges, beaucoup retourneront en Israël. Une décision politique en ce sens ne créerait pas de drame. Si un État palestinien indépendant est officialisé un jour, nous aurons besoin d’ouvrir les frontières dans le sens d’une collaboration mutuelle avec Israël aux niveaux économique, touristique, académique, agricole, environnemental... Mais nous en sommes encore loin. Nous sommes considérés selon la couleur de notre carte d’identité. Même à l’intérieur des Territoires palestiniens coexistent deux systèmes légaux. Face à l’enlisement de la question des deux États, certains Palestiniens envisagent de revendiquer leurs droits civils au sein d’un seul État, peu importe son nom. Quelle que soit l’option envisagée, nous voulons une paix, une prospérité et une justice pour tous. La Terre Sainte est comme la mère : elle a besoin de tous ses fils et filles.
Source : le monde des religions