PAR UN APPEL DU PARQUET NATIONAL ANTITERRORISTE
PAR UN APPEL DU PARQUET NATIONAL ANTITERRORISTE
Le tribunal d’application des peines a ordonné, vendredi, la libération du prisonnier pour terrorisme, condamné à la réclusion à perpétuité. Détenu depuis quarante ans, le Libanais Georges Ibrahim Abdallah, 73 ans, devra attendre une décision en appel.
Christophe Ayad, le Monde, 15 novembre
Georges Ibrahim Abdallah devra encore attendre quelques semaines, trois mois au maximum, pour savoir s’il est définitivement libéré par la justice française après quarante années de détention. A la surprise générale, y compris de son avocat et de son comité de soutien, le tribunal d’application des peines antiterroriste a ordonné, vendredi 15 novembre, la libération du prisonnier pour terrorisme, aujourd’hui âgé de 73 ans.
Cette libération aurait dû intervenir à partir du 6 décembre, mais le Parquet national antiterroriste (PNAT) a fait appel de la décision des juges d’application des peines. Ces derniers n’ont fixé qu’une seule condition à la libération de M. Abdallah : qu’il quitte définitivement le territoire français dès sa sortie de la prison à Lannemezan (Hautes-Pyrénées). Ce à quoi s’est engagée l’ambassade du Liban à Paris et ce que souhaite le prisonnier. L’appel du PNAT étant suspensif, le sort de M. Abdallah est à nouveau incertain.
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Arrêté en 1984 à Lyon, Georges Ibrahim Abdallah, fondateur des Forces armées révolutionnaires libanaises (FARL), un groupuscule marxiste antisioniste et anti-impérialiste libanais actif au début des années 1980, avait été condamné à la prison à perpétuité, en 1987, pour sa complicité dans l’assassinat de l’attaché militaire américain Charles R. Ray, à Paris en janvier 1982, puis dans celui de Yacov Barsimentov, un diplomate israélien, en avril de la même année. Il avait aussi été jugé coupable de complicité de tentative d’assassinat contre Robert Homme, consul général des Etats-Unis à Strasbourg, en 1984. M. Abdallah conteste les faits mais assume ces actions.
Georges Ibrahim Abdallah est libérable depuis 1999, mais ses dix demandes précédentes avaient échoué, notamment en 2003, quand le ministre de la justice de l’époque Dominique Perben avait demandé au parquet de faire appel d’une première décision de libération, puis, en 2013, quand Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait refusé d’émettre un ordre d’expulsion de M. Abdallah, condition sine qua non posée par les juges pour une libération. Washington avait relayé, par la voix de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, à l’exécutif français son souhait de le voir rester en prison.
Un détenu modèle mais sans remords
Me Jean-Louis Chalanset, l’avocat de M. Abdallah, salue « une victoire juridique et une victoire politique ». Il reste toutefois mobilisé en raison de l’appel. « Que le PNAT fasse appel, ça n’a rien de surprenant, puisqu’ils veulent qu’il meure en prison », a dénoncé l’avocat.
Lors de l’audience, les procureures avaient tenté de lier M. Abdallah au Hamas palestinien et au Hezbollah libanais, arguant de son adhésion à l’islamisme, sur la foi d’une note blanche de la direction de la surveillance du territoire déjà ancienne et sans fondement : de confession grecque orthodoxe à la naissance, M. Abdallah est athée. Ses rapports de détention en font un détenu modèle, même s’il n’a jamais montré de signe de remords ou de désengagement de sa cause. Lui se voit comme un détenu politique. Une autre note blanche, émanant cette fois de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), en septembre, estimait qu’il était difficile d’évaluer le comportement du prisonnier de Lannemezan une fois rentré au Liban, où sa libération constituerait « un événement ».
Les juges y répondent dans leur décision d’une trentaine de pages, en considérant qu’il n’existe « aucun risque grave de renouvellement des faits terroristes considérant que les FARL n’existent plus depuis quarante ans ». Quant aux effets de sa libération qui, assure la DGSI, provoquerait « des conséquences préjudiciables sur un plan diplomatique, outre le risque de très vives réactions des différentes associations de victimes et de la communauté juive dans le contexte des tensions consécutives aux attentats du 7 octobre [2023] », les juges estiment que « l’intensification du conflit s’est précisément produite indépendamment d’Abdallah, qui se trouve incarcéré et à qui l’on ne peut reprocher l’ensemble des conflits au Proche-Orient. (…) En toute hypothèse, la situation géopolitique au Proche-Orient ne peut à elle seule justifier une relégation de fait de M. Abdallah absolue et définitive ».
José Navarro, un soutien, évoque « un acharnement »
Le tribunal retourne même l’argument : « Au regard des soutiens dont il bénéficie, des manifestations organisées pour demander sa libération, des articles de presse qui dénoncent les conditions de sa condamnation ou la durée de sa détention, il pourrait tout autant être considéré que l’ordre public serait davantage troublé par le rejet de sa requête que par son octroi. » Et de conclure : « S’il est légitime de s’interroger sur le symbole que M. Georges Ibrahim Abdallah représente pour certains, il représente surtout aujourd’hui le symbole d’un homme maintenu en détention depuis désormais plus de quarante ans, soit une période devenue disproportionnée au regard des faits commis et de sa dangerosité actuelle. »
Selon les membres des groupes qui soutiennent M. Abdallah, ce dernier s’est montré soulagé et heureux de la nouvelle, mais soucieux du nouvel obstacle posé par l’appel du PNAT. José Navarro, l’un des membres les plus actifs du comité de soutien des Hautes-Pyrénées pour la libération de Georges Abdallah et visiteur régulier du prisonnier, estime qu’un éventuel maintien en détention en appel serait une décision « inique et insupportable » contre un homme victime d’« acharnement ».
La Prix Nobel de littérature Annie Ernaux avait jugé, en octobre dans le quotidien communiste L’Humanité, que Georges Ibrahim Abdallah était « victime d’une justice d’État qui fait honte à la France ».
Christophe Ayad