Mort d’Ismaïl Haniyeh : « Cet assassinat ouvre une période floue et très dangereuse »

dimanche 4 août 2024

Pour Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris, l’assassinat du chef politique du Hamas permet à Nétanyahou de contenter ses alliés d’extrême droite et de saboter une nouvelle fois les pourparlers de paix à Gaza.

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Des personnes brandissent le drapeau palestinien et un portrait du chef assassiné du Hamas, Ismaïl Haniyeh, lors d’un rassemblement à l’université de Téhéran, dans la capitale iranienne, ce mercredi 31 juillet. (AFP)
par Camille Neveux - publié le 31 juillet 2024 à 21h31

Le chercheur et politologue libanais souligne que la mort du chef politique en exil du Hamas, Ismaïl Haniyeh, porte un coup dur au mouvement, mais sans remettre en cause l’efficacité de son appareil militaire.

Après la mort d’Ismaïl Haniyeh, dans quel état se trouve la direction du Hamas ?

Elle n’est pas détruite, mais elle a subi un coup très dur. La branche politique incarnée par Haniyeh ou encore Khaled Mechaal [en exil au Qatar, ndlr] est touchée, mais aussi la « direction à l’extérieur ».

Haniyeh était celui qui négociait le cessez-le-feu dans le bande de Gaza, il était proche du Qatar et de la Turquie, sans être totalement rejeté par d’autres acteurs régionaux comme l’Egypte ou la Jordanie. Il s’était réconcilié avec l’Iran après 2017 : Téhéran s’était montré froissée qu’il soutienne en 2011 les révolutions arabes, notamment en Syrie… Il était considéré comme modéré par l’Autorité palestinienne, était impliqué dans les pourparlers de réconciliation entre le Hamas et le Fatah et soutenait l’initiative récente de la Chine en ce sens. C’était une cible importante, et Israël a réussi à l’éliminer.

Par contre, l’appareil militaire du Hamas engagé dans les combats à Gaza, très souverain, avec une gestion propre, n’est pas affecté par cet assassinat. Il peut informer la direction à l’étranger des opérations en cours, mais pas nécessairement de toutes. Haniyeh ne connaissait donc pas tous les secrets du Hamas.

Quelles répercussions cet assassinat peut-il avoir sur la région ?

Cet assassinat s’inscrit dans une nouvelle phase d’opérations israéliennes, bien au-delà du théâtre de Gaza et du Sud Liban. Nétanyahou profite d’un moment d’hésitation et de fluctuation côté américain pour intensifier la guerre sur plusieurs fronts et obliger les Etats-Unis à le défendre si l’Iran riposte d’une manière différente de la dernière fois. Dans la nuit du 13 au 14 avril, les Israéliens avaient eu le temps d’intercepter leurs missiles et Téhéran avait pu montrer sa puissance de feu, mais sans aller plus loin… Si la réponse iranienne s’avérait cette fois-ci plus importante et coordonnée sur plusieurs fronts, Nétanyahou pousserait la région à l’escalade, avec des bombardements au-delà des frontières des pays concernés – soit le scénario le plus pessimiste. Le scénario optimiste résiderait dans des ripostes et des contre-ripostes pendant quelques jours ou semaines, avec un cessez-le-feu in fine imposé. Pour accepter une fin des combats à Gaza, Nétanyahou doit prétendre à une victoire, or l’assassinat mercredi à Téhéran d’Haniyeh, et la tentative d’assassinat mardi, dans la banlieue sud de Beyrouth, de Fouad Chokor, l’un des responsables militaires du Hezbollah, peuvent servir à lui faire accepter la fin des opérations militaires. Dans un troisième scénario, qui ne serait ni l’apocalypse, ni des opérations de riposte avant un cessez-le-feu, on entrerait dans une phase où des combats intenses sur plusieurs fronts, mais dans des zones limitées, seraient notre quotidien, jusqu’à ce que la communauté internationale s’impose.

Que vont devenir les pourparlers de paix à Gaza ?

Les négociations vont bloquer pendant un moment, car la dynamique se portera sur les funérailles d’Haniyeh, la grève dans les territoires palestiniens, une probable riposte… Cet assassinat permet à Nétanyahou de saboter une nouvelle fois les pourparlers de cessez-le-feu, dont il ne veut pas.

Comment Téhéran peut répliquer ?

Les Iraniens ont plusieurs cartes en main, mais ils ne les abattront pas tout de suite. Ils monteront à chaque fois d’un cran, en fonction du rythme qu’Israël impose. Leurs alliés au Yémen, les Houthis, peuvent créer de grandes difficultés aux navires qui traversent l’océan Indien vers la mer rouge et la Méditerranée. Des frappes contre des sites militaires en Israël peuvent être menées depuis la Syrie, le Liban ou la frontière irako-jordanienne. Le Hezbollah peut aussi procéder à des bombardements sur des infrastructures militaires et économiques israéliennes.

Cet assassinat renforce-t-il Nétanyahou au niveau national ?

Ça peut être le cas chez une partie des Israéliens qui lui reprochaient de mener une guerre sans succès, avec un Hamas non éradiqué et des otages encore détenus. Il peut maintenant dire qu’il a éliminé un chef du Hamas et peut-être un autre du Hezbollah [la mort de Fouad Chokor n’est pas confirmée par le parti], et continuer. Si la riposte fait mal, cela peut s’inverser. Mais il a pour le moment conforté ses alliés d’extrême droite.

A quel jeu jouent les Etats-Unis ?

Joe Biden est trop faible pour s’imposer. Kamala Harris est opposée à une escalade et à la politique de Nétanyahou, mais les Etats-Unis ont des accords de soutien à Israël. Donald Trump n’a pas de problème à voir la situation hors de contrôle pendant quelques semaines, mais il ne veut pas hériter d’une guerre en cours, dont il ne maîtrise pas les paramètres. Si les Etats-Unis ne les soutiennent pas, les Israéliens ne peuvent pas aller à une guerre ouverte. Mais Washington ne fait pas non plus le nécessaire pour calmer le jeu. Cela ouvre une période floue et très dangereuse. L’effet pervers, c’est que l’on ne parle plus des massacres à Gaza ni de la situation en Cisjordanie, comme si ce qui se passait là-bas était devenu banal, normal et n’inquiétait plus.

A ECOUTER "Assassinat d’Haniyeh" : l’analyse de Ziad Majed Politologue Spécialiste du Proche-Orient (3:37) https://youtu.be/pDvexHM8GKE?si=_5Z...

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