La guerre contre Gaza et le récit médiatique

lundi 26 août 2024

Pour ceux qui ne reçoivent pas PAL SOL, le journal de l’AFPS !

Par Alain Gresh, journaliste français, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orient XXI et Afrique XXI, spécialiste du Proche-Orient,, et plus particulièrement du conflit israélo-palestinien (Wikipédia)

Jamais, depuis des décennies, le récit relayé par les médias dominants, n’avait été aussi unilatéral, aussi aligné sur le discours officiel israélien (et français) : le Hamas est une organisation terroriste ; Israël a droit à la légitime défense ; l’histoire commence le 7 octobre et la guerre met aux prises Israël et le Hamas.

Toute personne invitée dans les grandes émissions, que ce soit à la télévision ou à la radio, était sommée de ré pondre à une question préalable : le Hamas est-il une organisation terroriste ?

Une forme d’injonction qui clôt le débat avant même qu’il ne s’ouvre. Et qui évite de se demander quelle était la situation en Palestine le 6 octobre. Le blocus de Gaza était-il sur le point d’être levé ? L’oppression israélienne était-elle moins présente en Cisjordanie où le Hamas ne gouverne pas ? Les Palestiniens étaient-ils sur la voie de la création de leur État ? L’Union européenne et les États-Unis œuvraient-ils à la solution des deux États qu’ils ont miraculeusement redécouverte avec la guerre contre Gaza ? Cette attaque était-elle vraiment inattendue ?

Malheur à ceux qui tentaient d’éclairer le contexte, sûrement un agent plus ou moins consentant du Hamas, ce qui pouvait lui valoir des sanctions à son travail, voire des inculpations pour « apologie du terrorisme » – 626 procédures avaient été lancées à la date du 30 janvier 2024. Dans un document de trois pages, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti demandait une « réponse pénale ferme et rapide » face aux « propos vantant les attaques, en les présentant comme une légitime résistance à Israël », tout comme la « diffusion publique de messages incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique ».

Dans ce contexte de pression, le travail de journaliste était rendu plus difficile. Un journaliste de CNN expliquait au magazine The Intercept (4 janvier 2024), les formes de censure qui s’imposaient aux médias occidentaux : « Les mots “crime de guerre” et “génocide” sont tabous. Les bombardements israéliens à Gaza seront rapportés comme des “explosions” dont personne n’est responsable, jusqu’à ce que l’armée israélienne intervienne pour en accepter ou en nier la responsabilité. Les citations et les informations fournies par l’armée israélienne et les représentants du gouvernement ont tendance à être approuvées rapidement, tan dis que celles provenant des Palestiniens ont tendance à être minutieusement examinées et traitées avec une grande prudence. »

Le point de départ est qu’Israël serait un État démocratique et qu’on peut faire confiance à ses journalistes. Or, s’il existe un pluralisme dans les médias israéliens, il s’arrête aux frontières de la guerre : que ce soit ce qui se passe en Cisjordanie ou pour la guerre contre Gaza, la majorité des journalistes se contentent de répéter le discours des porte-parole militaires, même quand ils mentent éhontément. Ce fut le cas des mois durant en France avec Olivier Rafowicz, le porte-parole francophone de l’armée israélienne, spécialiste du mensonge, invité de manière régulière sur les médias, rarement contesté. Et quand cela arrive, comme ce fut le cas, sur TV5 Monde, le journaliste fut sanctionné par sa direction !

Cela est rarement rappelé, Israël est le seul pays occidental où il existe une censure active qui s’applique à la fois aux journalistes israéliens et aux journalistes étrangers qui doivent signer une déclaration qu’ils se conformeront aux directives. Une longue enquête publiée par le journal en ligne Orient XXI sur le lobby pro-israélien aux États-Unis (2 novembre 2018) montrait déjà comment les services d’information israéliens prenaient en charge les journalistes étrangers dès leur arrivée à Jérusalem, leur fournissaient des images et des reportages clefs en main dès que se produisait un attentat, faisaient pression sur les agences de presse pour qu’elles modifient leurs dé pêches ou leurs articles. Ce qui était vrai avant le 7 octobre l’est encore plus aujourd’hui.

Pourtant, les médias français ont répercuté la propagande israélienne sur le 7 octobre. Les quarante bébés égorgés, la femme enceinte éventrée, la survivante de l’holocauste sauvagement assassinée, les enfants enfermés dans les cages… et bien que tous ces mensonges aient été débusqués, bien que ces contre vérités aient permis de « justifier » la guerre génocidaire contre Gaza, on n’a assisté à aucune autocritique de la couverture de l’événement. Lors de la guerre de 1990-1991, durant laquelle s’étaient aussi multipliés les mensonges, la presse avait au moins procédé à son « autocritique »…

Tandis que les médias répercutent les déclarations des porte parole de l’armée, la voix des Palestiniens est restée inaudible, au moins jusqu’au printemps 2024. Pendant des mois, les médias français ont mis en doute les chiffres de morts donnés par le ministère de la Santé du Hamas, et on sait aujourd’hui qu’ils ont été sous-estimés. Alors que des dizaines de journalistes palestiniens racontaient et filmaient le calvaire de leur peuple, « un génocide en direct » comme le disait l’avocate irlandaise qui défendait la proposition de l’Afrique du Sud sur le génocide devant la Cour internationale de justice, la plupart des médias refusaient de les relayer. Ce qui n’a pas empêché Israël de tuer plus d’une centaine de ces véritables héros. Le journal Orient XXI est l’un des rares en France à avoir un correspondant sur place. Rappelons aussi qu’Israël interdisait et interdit toujours aux journalistes occidentaux de se rendre à Gaza, ce qui a suscité peu de critiques des médias occidentaux. Et si le discours médiatique a en partie changé devant l’accumulation des crimes israéliens, il est souvent réduit désormais à la seule question humanitaire qui efface la dimension politique et les causes profondes de ce qui se passe : le refus de l’autodétermination du peuple palestinien.

D’autres voix ont pu heureusement percer grâce à Internet, sur lequel s’étend pourtant déjà l’ombre de la censure. Ainsi, en décembre 2023, Human Rights Watch publiait un rapport sur Meta la maison mère de Facebook et d’Instagram. « La censure par Meta de certains contenus en faveur de la Palestine est particulièrement nocive dans une période de terribles atrocités et de répression qui étouffent déjà les voix des Palestiniens », expliquait Deborah Brown directrice adjointe par intérim de la division Technologies et droits humains de HRW. « Les réseaux sociaux constituent une plateforme essentielle permettant aux gens de témoigner et de dénoncer les abus, alors que la censure par Meta contribue à l’effacement des souffrances des Palestiniens. »

« Human Rights Watch a identifié six modèles clés de censure, chacun récurrent dans au moins une centaine de cas : suppressions de contenus ; suspension ou suppression de comptes ; incapacité d’interagir avec les contenus ; incapacité de suivre ou de marquer des comptes ; restrictions à l’utilisation de fonctionnalités telles qu’Instagram/Facebook Live ; et bannissement furtif », terme désignant une diminution significative de la visibilité des publications, des stories ou du compte d’un individu sans notification préalable. Dans plus de 300 cas, les utilisateurs n’ont pu faire appel de la suppression d’un contenu ou d’un compte en raison d’un dysfonctionnement du mécanisme prévu à cet effet, les privant de recours. TikTok a été incontestablement le réseau sur lequel le soutien à la Palestine a pu s’exprimer le plus librement. C’est une des raisons pour lesquelles les États-Unis cherchent à l’interdire, comme le reconnaît un sénateur américain républicain Mitt Rodney [1].

Cette pensée unique qui s’est imposée dans les médias français a pu être combattue grâce à quelques voix indépendantes – Orient XXI, Le Média, Blast, Acrimed, Arrêt sur images, L’Humanité, et j’en oublie sûrement. Il est aussi de notre responsabilité dans le combat contre la guerre génocidaire menée contre Gaza de les faire connaître, de les diffuser, de les aider.

Alain Gresh Directeur du journal en ligne Orient XXI

[1] https://www.axios.com/local/salt-lake-city/2024/05/06/senator-romney-antony-blinken-tiktok-ban-israel-palestinian-content