La Palestine nous définit

mardi 10 septembre 2024

La Palestine est l’illustration parfaite de l’hypocrisie stupéfiante de l’Occident. Le génocide de Gaza nous définit parce qu’il nous représente.

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Des gens se frayent un chemin au milieu des décombres des bâtiments détruits lors des bombardements israéliens, dans le camp de Jabalia pour les Palestiniens déplacés, le 31 août 2024. (Photo : Hadi Daoud/APA Images)

Les citoyens des nations autrefois impliquées dans le génocide se réveillaient chaque matin concentrés sur les défis de la vie quotidienne, et non sur ceux des personnes massacrées par leurs dirigeants. Les victimes pouvaient être réparties sur plusieurs continents ou appartenir à la même population, et la prise de conscience du massacre variait donc, mais la propagande et la déshumanisation étaient le baume omniprésent pour les consciences inquiètes et la couverture politique. Ceux qui s’élevaient au-dessus du lavage de cerveau étaient limités dans leur capacité à défier leurs dirigeants et s’exposaient à des conséquences – souvent brutales – s’ils le faisaient.

Mais à des degrés divers, la postérité a tenu le pays dans son ensemble pour moralement responsable. Quelles que soient les circonstances atténuantes, la postérité a jugé avec scepticisme que « nous ne savions pas ».

Imaginez-vous alors, en tant qu’étudiant en doctorat d’histoire en 2124, en train de faire des recherches dans les archives de cette tache sombre sur l’ancien empire occidental connue simplement sous le nom de génocide palestinien. Que verriez-vous ?

Le génocide d’aujourd’hui n’est pas perpétré par une nation renégate, ni par un empire au sens traditionnel du terme, mais par un consortium, dirigé par les États-Unis. Nous, les citoyens de ce consortium, nous réveillons chaque matin avec nos propres problèmes, pas ceux des personnes massacrées en notre nom. Nous aussi sommes manipulés par la propagande raciste destinée à faire de nous des partenaires consentants de ce crime consommé, depuis les mensonges grossiers de Fox News jusqu’à la manipulation insidieuse du New York Times et l’arrogance moralisatrice de PBS. Et nous aussi sommes prisonniers des structures de pouvoir sous lesquelles nous vivons.

Mais il y a une différence qualitative entre les génocides passés – la Belgique qui a assassiné les Congolais, les Ottomans qui ont assassiné les Arméniens, les Nazis qui ont assassiné les Juifs et d’autres – et celui d’aujourd’hui, qui consiste à assassiner ou à effacer toute personne non juive de la Palestine historique. Nous ne pouvons prétendre à aucune équivoque. Nous reconnaissons pleinement ce génocide. Et aussi impitoyable que puisse être le contrecoup, s’y opposer ne revient pas à condamner à mort, comme ce fut le cas, par exemple, dans l’Allemagne des années 1930.

Contrairement aux génocides passés, nous regardons le nôtre se dérouler en temps réel sur nos téléphones. Mais nous sommes témoins de notre génocide depuis toujours. L’État israélien est fondé sur une idéologie suprémaciste dont la fin inévitable est le génocide, ses politiciens les plus honnêtes confirment sans détour cette intention, et l’histoire de l’État est constituée de soixante-seize années de preuves continues et ininterrompues.

Mais nous, l’Occident et surtout les États-Unis, restons passifs grâce à l’illusion de la liberté et de la démocratie, et au sentiment d’assurance morale qu’elles nous procurent. Quels que soient nos défauts, nous sommes une société ouverte et moderne, guidée par un débat éclairé et une structure politique fondée sur le droit.

Pour nous plonger dans cette illusion, nous permettons à la liberté d’expression de s’exprimer dans un spectre artificiel calibré pour exclure tout ce qui la remet en cause. Alors que des Palestiniens sont massacrés, nous nous réjouissons de pouvoir dire ce que nous voulons, d’un extrême à l’autre de ce spectre artificiel. La vérité qui se trouve au-delà n’est pas censurée en soi ; elle n’existe tout simplement pas. Le fait que ceux qui s’aventurent jusqu’à ses limites supérieures subissent des abus et voient leur carrière détruite sous la hache de guerre de l’« antisémitisme » confirme l’illusion selon laquelle ils ont parlé aux limites de ce qui pourrait être.

Et ainsi, pendant soixante-seize ans, nous avons dû braver ce plafond imposé. Nous avons parlé des actions d’Israël et de ce que fait l’État, déplorant les ravages de la maladie tout en protégeant la maladie elle-même. Les partisans du génocide sont heureux parce qu’il n’y a aucune mention de sa cause réelle – l’existence de l’État israélien lui-même, un État dont le fondement même est génocidaire.

Nous participons à notre système politique avec la même malhonnêteté, un monopole bipartite présenté comme une « démocratie ». Quelle saveur de génocide préférez-vous ? Préférez-vous le génocide éveillé ou le génocide qui menace la démocratie elle-même ?

La Palestine n’est pas le seul péché commis par les États-Unis et ses alliés, mais c’est l’injustice qui définit tous les autres. Ce n’est pas un incident, ni un coup d’État, ni une action militaire, ni une guerre, ni une politique étrangère, ni un bourbier politique, mais une obsession messianique qui imprègne notre psyché, une addiction au génocide pour lequel nous nous détruisons volontairement. Pour une grande partie du monde, la Palestine est la « ligne rouge » de notre hypocrisie stupéfiante. Nous sommes responsables de ce génocide. Il nous définit. Il est nous.

Novembre 2024, mois des élections, marquera les cent sept ans de la publication de la déclaration Balfour par la Grande-Bretagne et les soixante-dix-sept ans de l’adoption par les États-Unis de la résolution 181 (Partition) de l’Assemblée générale des Nations unies. Dans les deux cas, il était bien entendu que les mots de ces documents étaient creux et que nous institutionnalisions le nettoyage ethnique et, en fin de compte, le génocide de la population autochtone de Palestine, de la rivière à la mer.

Maintenant que le génocide a pris de l’ampleur, nous redoublons d’illusions moralisatrices : « pas de génocide » n’est pas une option au menu des élections américaines de novembre, et les informations véridiques sur la Palestine ne sont pas non plus enfin une option dans les grands médias. A moins d’une prise de conscience radicale et immédiate grâce aux soulèvements de masse à travers le pays et le monde, « génocide » sera notre épitaphe.

Source : Mondoweiss