En Cisjordanie occupée, la vie des agriculteurs assiégés

lundi 1er juillet 2024

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L’agriculteur Ibrahim Manasra sur le toit de sa maison, avec vue sur la colonie israélienne illégale de Betar Illit, le 12 mars 2024. - © Philippe Pernot / Reporterre

Attaques de colons, raids de l’armée, trajets interminables, chômage : les zones agricoles de Cisjordanie sont sous assaut. Les agriculteurs palestiniens, isolés et sous siège, luttent pour survivre dans un quotidien dystopique.

Une seule route mène encore à Wadi Fukin. Ce village palestinien au sud de Bethléem, en Cisjordanie occupée, est cerné de toutes parts par des colonies israéliennes. Les maisons de couleur ocre, toutes identiques, surplombent la vallée arborée vers laquelle serpente notre chemin, le seul encore ouvert. « Ne prends surtout pas de photos ici, les colons pourraient nous tomber dessus  », dit le seul chauffeur de taxi qui ait accepté de nous conduire ici. Sa nervosité est croissante. « Récemment, ils ont jeté des pierres sur une voiture de Palestiniens, les enfants ont failli mourir. »

Après avoir passé des checkpoints et les murs oppressants des colonies, nous arrivons à Wadi Fukin, village d’irréductibles Palestiniens : détruit par l’armée israélienne en 1948 puis de nouveau dépeuplé lors de la guerre de 1967, il a été reconstruit deux fois par ses habitants. « Nous vivons maintenant dans une prison à ciel ouvert », s’exclame Ibrahim Manasra, agriculteur et responsable local du Arab Group for the Protection of Nature (APN, « groupe arabe pour la protection de la nature »), en guise de bienvenue. Le soulagement d’être arrivé laisse, en effet, vite place à un sentiment d’étouffement : les 1 400 habitants palestiniens de Wadi Fukin sont « totalement emmurés, encerclés », selon ses mots.

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Ibrahim Manasra sur le toit de sa maison, avec vue sur la colonie israélienne illégale de Betar Illit, le 12 mars 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Une vie sous cloche

Au sud, les 60 000 colons, majoritairement des juifs hassidiques ultra-orthodoxes, de Betar Illit, colonie fondée en 1980. Au nord, la «  ligne verte » qui trace la frontière entre Israël et la Cisjordanie, et la ville israélienne de Tzur Hadassah, construite en 1956 sur des villages palestiniens dépeuplés — et qui ressemble à s’y méprendre à une colonie. Ces enclaves font partie du bloc de 37 colonies de « Goush Etzion » autour de Bethléem, qui vise à isoler la ville de naissance de Jésus du reste de la Palestine. Ainsi, Wadi Fukin a perdu 87 % de ses terres. « Israël prévoit de construire une nouvelle route pour ses colons à travers la vallée : il ne nous restera que 1 500 dunam [150 hectares] de terrain », s’insurge Ibrahim Manasra.

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Les attaques de colons sont monnaie courante. « Ils s’en prennent aux enfants qui vont à l’école, ou viennent carrément se baigner dans nos sources, armés », décrit-il. Comme si cela ne suffisait pas, les colons de Betar Illit déchargent leurs déchets dans les champs des Palestiniens, et l’armée israélienne est omniprésente. « Des soldats sont là tous les jours, avec des drones  ». Parfois, ils procèdent à des arrestations arbitraires, comme quand deux hommes de Wadi Fukin ont été arrêtés début juin. Parfois, ils démolissent des maisons : le frère d’Ibrahim Manasra a perdu la sienne en novembre dernier quand un bulldozer israélien l’a réduit en poussière. Il n’en reste que des gravats.

« La vie est vraiment difficile ici. Deux petits supermarchés arrivent encore à s’approvisionner, mais le centre de soins a fermé au début de la guerre à Gaza : on est obligés d’aller à Bethléem  », dit l’agriculteur. Après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, les habitants de Wadi Fukin se sont retrouvés coupés du monde quand les colons ont fermé la route, treize jours d’affilée. « On allait à Nahhalin [un village voisin situé de l’autre côté de Betar Illit] à pied pour chercher des médicaments  » : un trajet de presque deux heures pour moins de 2 kilomètres à vol d’oiseau.

Face à l’isolation, la solidarité

En sus, Wadi Fukin souffre de la crise économique qui ravage la Cisjordanie. Après le 7 octobre, 200 000 Palestiniens qui travaillaient en Israël se sont retrouvés sans emploi quand le gouvernement de Benjamin Netanyahu a gelé leurs permis. Depuis, le PIB de la Cisjordanie a chuté de 22 % et le chômage atteint un tiers de la population active. « Je dirais qu’à peu près la moitié des travailleurs de Wadi Fukin ont perdu leur emploi [en Israël]. Ceux qui ont des champs continuent de se nourrir, mais les autres n’ont plus rien », soupire Ibrahim Manasra.

Alors, la terre est tout ce qu’il leur reste — ainsi que la solidarité. « On se serre les coudes car personne ne vient nous aider. Par exemple, je nourris plusieurs de mes voisins avec mes fruits et légumes », dit l’agriculteur, qui décharge une centaine de jeunes pousses de goyaves d’un camion pour les planter à Wadi Fukin. Elles proviennent de l’APN, l’organisation pour laquelle il travaille, qui a lancé une campagne de reforestation de 3 millions d’arbres fruitiers depuis l’an 2000. « Pour chaque arbre déraciné par les Israéliens, on a décidé d’en replanter dix. »

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Source  : REPORTERRE