Décoloniser l’esprit : Une interview de la poétesse palestinienne Dareen Tatour
De la tentative de viol à des fouilles corporelles en état de nudité et à l’exploitation du corps féminin à des fins de harcèlement verbal et sexuel, Dareen Tatour explique que toutes les choses qu’elle a dû subir en prison étaient d’un niveau de cruauté on ne peut plus élevé.
Peut-on criminaliser un poème ? Avec un pouvoir plus fort que celui des armes, le crime du poète est celui de son imagination et de sa résistance littéraire – il défie le discours traditionnellement approuvé et il renouvelle la conscience politique – dans un système qui, naguère encore, considérait le mot « Palestine » comme une menace suffisante pour qu’on le censure dans les textes et manuels scolaires des enfants de Cisjordanie.
La poétesse et photographe palestinienne Dareen Tatour (39 ans) a été poursuivie pour ce que tout artiste fait, parce que c’est sa vocation. Elle a été arrêtée pour son poème, Qawem ya sha’abi, qawemhum (Résiste, mon peuple, résiste-leur), qu’elle avait composé après que des dizaines de jeunes Palestiniens, hommes et femmes, avaient été tués de sang-froid par les soldats de l’occupation et groupes extrémistes israéliens en 2014 et 2015.
De la tentative de viol à des fouilles corporelles en état de nudité et à l’exploitation du corps féminin à des fins de harcèlement verbal et sexuel, Dareen Tatour explique que toutes les choses qu’elle a dû subir en prison étaient d’un niveau de cruauté on ne peut plus élevé. Elle raconte à Kasturi Chakraborty (*) comment certaines organisations sionistes ont tenté de la tuer à diverses reprises depuis qu’elle a été libérée de prison et elle lui explique également qu’elle ne sera plus jamais libre tant que l’occupation existera.
Le fait d’être une poétesse qui a été emprisonnée pour avoir osé rêver d’une Palestine libre et n’avoir encore jamais baissé pavillon avant la fin de l’occupation, telle est l’histoire extraordinaire de Dareen. Elle a ravivé la flamme de la détermination et de l’espoir qui ont été utilisés comme sources d’inspiration par de nombreux artistes afin de nourrir l’expression artistique de leur résistance à l’occupation.
Originaire de Reineh en Israël, Dareen Tatour vit actuellement en Suède grâce à une bourse du Réseau des villes internationales de refuge (International Cities of Refuge Network – ICORN) et du PEN allouée aux écrivains et aux artistes en danger, et ce, pour une période de deux ans. Elle affirme que rien ne pourra l’empêcher d’écrire et, même si elle est à nouveau emprisonnée, ce à quoi elle s’attend lors de son retour en Palestine, elle ne s’arrêtera pas.
Voici des extraits de l’interview :
Kasturi Chakraborty. Comment les choses se sont-elles déroulées avant que le tribunal ne vous condamne sur les accusations d’« incitation à la violence » et de « soutien d’une organisation terroriste » ?
Dareen Tatour. En 2014-15, la Palestine a assisté à des meurtres de sang-froid perpétrés par les forces de l’occupation et des organisations extrémistes. Le martyr Mohammed Abou Khdeir a été assassiné à Jérusalem, la famille d’Ali Dawab, 18 mois, a été brûlée vive et de jeunes hommes et femmes ont été abattus au cours d’actions d’une barbarie sans nom.
Ces incidents douloureux m’ont profondément marquée et j’ai écrit un poème, « Résiste, mon peuple », le 2 octobre 2015, en guise d’expression de tout ce que j’avais vu. Il a été publié sur ma page Facebook. De même, en tant qu’activiste politique, j’ai publié certains articles et blogs nouveaux sur la fermeture de Jérusalem par les autorités d’occupation et sur la suppression de notre droit de prier librement à la mosquée Al-Aqsa.
Le 11 octobre, vers 3 heures du matin, un important contingent de soldats et de policiers israéliens sont venus chez moi et m’ont arrêtée. Ç’a été le début d’une détention de près de trois ans. Je n’ai été libérée que le 20 septembre 2018.
Kasturi Chakraborty. Combien de temps avez-vous passé en prison et combien de temps avez-vous été en résidence surveillée ?