VENTE D’ARMES A ISRAEL
« La position de la France demeure timide et en retrait de ses engagements internationaux »
Tribune dans le Monde, par Farah Safi, Juriste et Patrick Zahnd, Juriste
Le droit international oblige la France à cesser l’exportation de munitions destinées à un pays suspecté de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide, assurent dans une tribune au « Monde » les juristes Farah Safi et Patrick Zahnd, responsables de l’organisation des Juristes pour le respect du droit international.
Le 5 octobre, le président Macron a demandé « qu’on cesse de livrer les armes pour mener des combats sur Gaza ». Quelques jours plus tard, à la suite de l’ampleur des frappes au Liban et à Gaza, il a appelé à « cesser les exportations d’armes qui sont utilisées sur ces théâtres de guerre ».
Cette prise de position permet désormais à la France, à l’instar d’autres pays européens, de se conformer au droit international : en application de l’article premier commun aux quatre conventions de Genève de 1949, la France a l’obligation de « respecter » et de « faire respecter, en toutes circonstances », y compris par Israël, ses obligations en matière de droit international humanitaire (DIH). Cela impose de ne pas transférer des armes, munitions, pièces détachées et licences à une partie à un conflit armé qui est suspectée de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide.
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Dès octobre 2023, des rapporteurs spéciaux des Nations unies, des organisations de droits de l’homme, des acteurs humanitaires et des collectifs de chercheurs ont documenté les crimes internationaux commis par l’armée israélienne dans le territoire palestinien occupé de la bande de Gaza. Hélas, les considérations politiques ont souvent primé sur le respect des règles impératives du DIH, parfois même en invoquant un « droit d’Israël à se défendre » contestable pour une puissance occupante, et qui ne saurait exempter ce pays de respecter « en toutes circonstances » ses obligations juridiques internationales, y compris dans la conduite des hostilités.
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L’argument de la légitime défense a cependant largement perdu en crédibilité à la suite des récentes positions de la Cour internationale de justice. En 2024, à trois occasions, celle-ci a confirmé l’existence d’un risque plausible de génocide et la commission de nombreuses violations graves du droit international humanitaire par l’armée israélienne à Gaza, appuyant ainsi les appels des experts des Nations unies en faveur d’un embargo sur les armes destinées à Israël. L’avis consultatif du 19 juillet, qui condamne fermement les politiques et pratiques israéliennes et exige l’arrêt immédiat de la colonisation et des pratiques discriminatoires, a rendu cette obligation juridique encore plus forte.
Au risque de se rendre complice
Les récentes déclarations du président de la République apparaissent donc comme la déclinaison naturelle de cette obligation de respecter le DIH. Il peut toutefois être reproché à ce discours sa tardiveté (pourquoi avoir attendu huit mois ?), son flou (il ne précise pas que la France ne livrera plus d’armes offensives ou défensives à Israël) et son manque de transparence (pas d’information précise sur les
exportations d’armes françaises à Israël).
En outre, la position de la France demeure timide et en retrait de ses engagements internationaux, au risque de se rendre complice des crimes internationaux commis, y compris de génocide. En effet, les conventions de Genève et leurs protocoles additionnels lui imposent de « faire respecter » le DIH. Il s’agit pour les Etats membres aux conventions d’engager des mesures à l’égard des Etats tiers pour qu’ils respectent le DIH. Chaque Etat doit user de son influence pour faire cesser les graves violations en cours, et ne pas y contribuer par de tels transferts.
Les violations répétées du droit international par l’armée israélienne dans la bande de Gaza étant désormais documentées et reconnues, cette obligation impérative doit être mise en œuvre par la France pour adjoindre à Israël de respecter ses obligations. Elle doit l’être également auprès d’Etats tiers – les Etats européens et les Etats-Unis notamment – pour qu’ils poussent Israël à aller dans ce sens. C’est d’autant plus urgent que le conflit s’étend au Liban et que des familles entières sont tuées ou déportées.
Les déclarations du président Macron sont donc aussi la déclinaison de cette obligation de « faire respecter » le droit international humanitaire. Si elles sont suivies d’effet, elles pourraient être le début d’un embargo national sur les armes à destination d’Israël en invitant les alliés de la France à ne plus fournir d’armes à Israël, ce qui pourrait pousser cet Etat à réviser ses positions.
Aucune mesure concrète
Toutefois, relevons le manque d’ambition de la France dans la mise en œuvre de cette obligation. En dépit des avertissements de la Cour internationale de justice et des demandes de délivrance, par le procureur de la Cour pénale internationale, de mandats d’arrêt contre deux dirigeants israéliens (comme contre trois du Hamas), aucune mesure concrète n’a été prise par la France pour presser Israël.
La nature des relations entre les deux pays impose pourtant une remise à plat complète de celles-ci. La France devrait faire pression sur Israël et mettre fin au sacrifice de la vie de milliers de civils. Des sanctions économiques et financières ciblées contre les personnes physiques et morales impliquées dans ces crimes sont attendues. La France pourrait aussi exiger des enquêtes sur ces violations, saisir les organes des Nations unies ou de l’Europe, ou renvoyer la situation devant une juridiction internationale.
Des mesures pénales pourraient être engagées pour réprimer ces actes, en soutenant les efforts nationaux ou internationaux pour traduire en justice les responsables présumés ou en procédant, par exemple, à la saisie de leurs biens. La France ne devrait surtout prêter aucune aide ou assistance au maintien de cette situation, et son inaction pourrait être considérée comme une forme de complicité.
Un pas a été fait, mais il reste insuffisant. Notre pays ne saurait se dérober à ses obligations internationales de prévenir ces crimes, de combattre l’impunité de leurs auteurs et de maintenir la paix et la sécurité internationale.
Les signataires : Farah Safi est professeure agrégée de droit privé, vice-présidente de Juristes pour le respect du droit international (Jurdi) ; Patrick Zahnd est professeur de droit international humanitaire, ancien chef de délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), président de Jurdi.