La gestation d’un système de sanctions contre les colons israéliens de Cisjordanie
Quelques dizaines de personnes et d’entités, qui contribuent à l’expulsion des Palestiniens en Cisjordanie, ont été sanctionnées depuis le début de l’année, à l’initiative des Etats-Unis, de l’Union européenne et de la France. D’une portée pour l’instant limitée, ces mesures enclenchent des mécanismes et établissent des précédents, qui inquiètent l’Etat hébreu.
La décision rendue par la Cour internationale de justice, vendredi 19 juillet à La Haye, qui juge « illicite » l’occupation des territoires palestiniens, promet d’alimenter la réflexion de Washington, de l’Union européenne (UE) et de plusieurs Etats ayant commencé à imposer des sanctions contre des citoyens et des organisations israéliennes, impliqués dans les violences de la colonisation. Ces mesures punitives, dont les plus récentes ont été prises par l’Union européenne le 15 juillet, ont été impulsées en décembre 2023 par l’administration américaine de Joe Biden.
Encore symboliques et réversibles, touchant des dizaines d’individus sans grande autorité et une poignée d’entités, elles n’en brisent pas moins « un tabou » selon un diplomate européen, pour qui « en discuter sérieusement n’était pas même envisageable il y a deux ans ». Aussi fragiles soient-elles, elles enclenchent des mécanismes, posent des précédents juridiques et ouvrent un champ de possibles, qui préoccupent les autorités israéliennes. « Avec les avancées des cours de la justice internationale et ces vagues de sanctions, Israël risque de plus en plus concrètement de se voir assimilé à un Etat paria », résume un autre diplomate européen.
Un décret pris par le président Joe Biden en février permet à l’administration de sanctionner des individus et des entités en Israël, sans passer par le Congrès, pour violences, mais aussi pour avoir contribué à déstabiliser la Cisjordanie et accaparé de terres palestiniennes. Fort de ce levier juridique, son administration adopte un nouveau train de sanctions régulièrement, à quelques mois d’intervalle, de manière planifiée et avec des conséquences concrètes : en raison de leurs transactions en dollars, les banques israéliennes, où les personnes et les entités mises sous sanctions disposent de comptes, sont obligées de geler ces avoirs.
Un levier de pression
En juin, deux patrons de fermes israéliennes, parmi des dizaines implantées depuis 2017 dans de vastes zones reculées de Cisjordanie, ont ainsi été visés. Ces colonies agricoles contribuent au déplacement forcé de Bédouins, à l’ombre de la guerre à Gaza. Ces hommes ont été sanctionnés pour des faits de violences, mais également pour accaparement de terres.
Une jurisprudence se construit ainsi, ouvrant la voie à des sanctions contre des organisations plus importantes, voire des responsables politiques. Avant la présidentielle américaine de novembre, plusieurs nouvelles cibles sont évoquées par des sources diplomatiques et des experts : en premier lieu, Regavim, organisation impliquée dans l’implantation des fermes et la destruction de bâti palestinien, ainsi que d’infrastructures financées par l’UE (écoles, panneaux solaires).
Autre objectif plus ambitieux : fin juin, le Canada a été le premier à sanctionner Amana, la principale entreprise israélienne de BTP en Cisjordanie, matrice du mouvement des colons, dirigée par Ze’ev « Zambish » Hever. En avril, des fuites dans la presse américaine ont aussi évoqué la possibilité de sanctionner Bezalel Smotrich, le ministre des finances et ministre de tutelle de la Cisjordanie au sein du ministère de la défense, qui a fait de l’annexion pure et simple des territoires la politique officielle du gouvernement israélien.
Washington a tenté d’user de ces sanctions, prises en parallèle à ses livraisons d’armes à Israël, comme d’un levier de pression sur la conduite de la guerre à Gaza. La manœuvre n’a guère eu de succès, mais elle ne se réduit pas à cet objectif, tout comme elle ne peut se résumer à un simple geste envers les électeurs d’origine arabe du Michigan, Etat-clé pour la présidentielle de novembre.
L’élaboration de ces mécanismes de sanctions est aussi le fruit d’une réflexion sécuritaire, menée par l’armée et le département d’Etat, ce qui peut expliquer en partie pourquoi elle n’a suscité jusqu’ici que peu de critiques de la part des républicains. « Ils considèrent la colonisation comme le principal risque pesant sur la Cisjordanie, y compris pour Israël. Ils veulent renforcer les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, qui sont perçues par leurs proches comme des collaborateurs avec Israël et sont humiliés chaque fois que les colons entrent dans leurs villages », résume une source diplomatique occidentale.
Côté européen, la France a joué un rôle moteur, aux côtés des Pays-Bas et de la Belgique, pour faire adopter deux petits paquets de sanctions par le Conseil de l’Europe depuis avril. Forcément unanimes, ces initiatives font elles aussi jurisprudence. En juillet, la France avait proposé de sanctionner Regavim. L’Allemagne s’y est opposée. La Hongrie et la République tchèque, chevaux de Troie de la droite israélienne en Europe, freinent aussi les ambitions.
Cependant, l’UE a sanctionné Tzav 9, un groupement de coupeurs de routes, qui assaillent en Cisjordanie les camions de nourriture destinée à Gaza. Le cas d’Amana est également discuté, sans faire l’unanimité. L’entreprise contesterait fermement sa désignation devant les tribunaux de l’UE. La France a sanctionné elle-même 28 colons violents, sans les nommer.
Source : Le Monde 20 juillet 2024 Louis Imbert (Jérusalem, correspondant International)